LE BONHEUR
Un menuisier aime sa femme, ses enfants et la nature. Ensuite il rencontre une autre femme, une postière, qui ajoute du bonheur à son bonheur. Toujours très amoureux de sa femme, il ne veut pas se priver, ni se cacher, ni mentir. Un jour de pique-nique en Ile-de-France, le drame va se mêler aux délices : l’épouse se noie dans un étang. Le menuisier et la postière vivront ensemble et élèveront les enfants. Ils iront en pique-nique, mais c’est l’automne.
Critique du film
Un tournesol radieux et une famille qui s’avance vers nous sur les notes graves de la fugue de l’Adagio et fugue en ut mineur K 5462 de Mozart : Le bonheur s’ouvre sur l’image d’un été brûlant. Puis, sur le second thème musical du film emprunté à Mozart, l’allegro du Quintette pour clarinette en la majeur K 581, plus guilleret, on observe un jeune couple et deux enfants qui prennent plaisir à flâner dans la campagne, avant de retrouver leur routine. Agnès Varda nous présente des personnages pour qui le bonheur semble, au premier abord, couler de source. Les dialogues simples et les paysages fleuris ne sont jamais mièvres, car le couple d’acteurs apporte une authenticité précieuse à l’amour que vivent les personnages.
François est interprété par Jean-Claude Drouot, alors star du petit écran, et Thérèse est incarnée par l’actrice Claire Drouot, sa femme. La petite fille et le petit garçon qui s’amusent à l’écran sont aussi leurs enfants dans la vraie vie. François est menuisier, Thérèse est couturière. Et puis un jour, à la poste, François rencontre Émilie (Marie-France Boyer). Il suffira de quelques mots échangés, d’un café partagé et d’une balade pour qu’il lui dise simplement « Émilie je vous aime. »
Vainqueur de l’Ours d’argent à la Berlinale, ce troisième long-métrage d’Agnès Varda a été interdit aux moins de 18 ans à sa sortie en 1964, choquant, à l’époque, par l’absence de jugement moral dans sa représentation de l’adultère. S’il est difficile aujourd’hui de se rendre compte de la raison de ce parfum de scandale à l’époque, Le bonheur résonne encore distinctement comme une fable cruelle sur autant de figures abstraites que sont l’amour, le couple et le bonheur.
Très présents tout au long du film, que ce soit sur les vêtements des personnages ou dans les décors, le rouge, le jaune et le bleu teintent même parfois toute l’image. Comme ces couleurs primaires qui peuvent créer toutes les autres teintes si on les mélange, François pense pouvoir ajouter du bonheur à son bonheur. Il explique à sa femme la joie supplémentaire qu’une relation extraconjugale lui a naturellement apportée. Et puis lorsque le drame frappe, que le deuil met fin à l’été qu’il partageait avec Thérèse, François accueille, sans plus de peine qu’il n’en faut, l’automne avec Émilie.
À travers une image lumineuse sublimée par des plans inventifs et un montage ingénieux, Agnès Varda donne vie sous nos yeux à un tableau impressionniste. Elle observe sans juger, que le bonheur peut être aussi instinctif et naturel que prétendu et impudique. En mettant en scène la quête candide et égoïste du bonheur de François qui conduit à l’implosion de la famille dite nucléaire, Le bonheur questionne sur la façon dont les normes sociales peuvent influencer un sentiment (ou une « aptitude », comme le dit Agnès Varda) aussi intime que celui d’être heureux. Si la figure de la famille ne constitue pas la définition de base du bonheur, elle peut constituer un bonheur. Et sans être une morale sur la violence de l’adultère, la reconstruction instinctive d’une famille pour François et ses enfants avec Émilie à la fin du film appuie bien ce propos.