LE CONGRÈS
Robin Wright (que joue Robin Wright), se voit proposer par la Miramount d’être scannée. Son alias pourra ainsi être librement exploité dans tous les films que la major compagnie hollywoodienne décidera de tourner, même les plus commerciaux, ceux qu’elle avait jusque-là refusés. Pendant 20 ans, elle doit disparaître et reviendra comme invitée d’honneur du Congrès Miramount-Nagasaki dans un monde transformé et aux apparences fantastiques…
Doubles
Le Congrès s’inspire d’un roman de Stanilas Lem, Le Congrès de Futurologie, dans lequel l’auteur décrit une société où la psychochimie a pris le pouvoir, où la population droguée a perdu tout lien avec la réalité. Ari Folman en a tiré une adaptation très libre qui prend pour point de départ l’industrie du cinéma dans un avenir très proche.
Le film s’ouvre ainsi sur un lent travelling arrière partant du visage de Robin Wright, incarnant son propre rôle, en larmes. Une voix s’ajoute à ce plan, celle d’Al (Harvey Keitel), son agent, qui la sermonne sur ses mauvais choix à répétition. Ari Folman dit déjà tout avec ce premier plan : Robin Wright représente une certaine image du septième art, une image vouée à disparaître, de laquelle on s’éloigne inéluctablement et qui semble ne plus avoir la force de se battre. La suite du scénario ne va faire que confirmer ce que cette ouverture a installé. Le studio Miramount offre une ultime opportunité à Robin Wright de « sauver » sa carrière : il souhaite scanner l’actrice pour utiliser son double numérique à l’envi. Refusant tout d’abord catégoriquement de vendre son image, Robin Wright finit par accepter afin de se consacrer à plein temps à son fils, atteint d’une maladie dégénérative affectant sa vue et son ouïe.
Même si Le Congrès se positionne en tant que film de science-fiction, Ari Folman souhaite clairement l’intégrer dans un espace-temps actuel en faisant incarner à Robin Wright son propre rôle. D’ailleurs le film sera en partie rattrapé dans son anticipation à sa sortie. En effet, lorsqu’il écrit le scénario en 2010, Folman imagine un monde où les acteurs sont remplacés par des doubles numériques. Au moment du tournage, ce n’est déjà presque plus de la fiction. Ainsi la séquence de numérisation de Robin Wright ne nécessitera pas de créer un décor mais sera tournée dans une véritable salle de scan d’acteurs.
Depuis, si les doubles numériques n’ont pas envahi les écrans, on a quand même vu Peter Cushing ressusciter et Carrie Fisher rajeunir dans Rogue One, et Lucasfilm a confirmé avoir numériser tous les acteurs de la franchise Star Wars pour faciliter les effets spéciaux. Plus que la numérisation à proprement parler, ce que pointe du doigt Folman dans Le Congrès c’est avant tout la perte d’une certaine âme artistique dans le cinéma des studios, voués à livrer des produits formatés où les acteurs, même s’ils sont réels, peinent souvent à s’exprimer au milieu d’un flot d’effets spéciaux numériques.
Le dictat de l’image
L’acteur n’est finalement qu’un simple outil dans la grande machine de l’entertainment, un rôle qui peut tout aussi bien être tenu par un ordinateur. L’acteur devient chez Folman le porte-drapeau d’une industrie qui se tourne de plus en plus vers la fabrication de produits plutôt que d’œuvres, produits formatés pour plaire au plus grand nombre, ou plutôt que l’on va vendre comme étant ceux que le public veut voir. Lorsqu’il tente de convaincre Robin Wright, son agent lui assène qu’elle est depuis toujours à la solde des studios qui ont fait d’elle l’image qu’ils désiraient. La notion de choix, revendiquée par l’actrice comme étant le vecteur de son indépendance, semble être balayée. Existe-t-on encore en tant qu’être humain si le choix nous est enlevé ? Dès lors pourquoi ne pas laisser faire un ordinateur ?
Si Folman a choisi une actrice plutôt qu’un acteur pour tenir le rôle-titre du Congrès, ce n’est évidemment pas anodin. Plus que pour les hommes, les actrices ont toujours subi le dictat de l’image dans l’industrie cinématographique, et encore plus celui de l’âge. Dans le film, Robin Wright entre dans la quarantaine, elle n’intéresse plus les studios, à moins de pouvoir retrouver l’actrice trentenaire en rajeunissant son double numérique. Le film étend d’ailleurs plus largement sa réflexion sur la place des femmes dans la société, renvoyant sans cesse Robin Wright a son rôle de mère. En vendant son image au studio, elle offre la seule part « acceptable » de son statut de femme (une belle actrice éternellement jeune) pour cacher son corps vieillissant aux yeux du monde et ne plus se consacrer qu’exclusivement à son fils malade.
La dernière séquence de la première partie du film, celle du scan de Robin Wright, reprend toutes ces réflexions dans une apothéose émotionnelle. Comme un contre-pied à tout ce qu’il évoque, Ari Folman met au cœur de cette scène le travail des comédiens (comme d’ailleurs tout au long de cette première partie). D’un côté, il y a Harvey Keitel livrant un impressionnant monologue et de l’autre il y a Robin Wright, sans la moindre ligne de texte, passant du rire aux larmes avec une subtilité désarmante. Dans cette séquence, Al convoque la peur, la fragilité qui se cache en chaque être humain et promet à Robin Wright, suite à ce scan, à cette ultime performance, une vie délivrée de ses angoisses. Un argumentaire qui s’apparente à celui des drogues, et qui ouvre sur la deuxième partie du film, se déroulant 20 ans plus tard, et plus directement inspirée du roman de Stanislas Lem.
Robin Wright, dont le double numérique est devenue une star mondiale, se rend au congrès de futurologie de la Miramount mais doit pour cela sniffer une substance qui va la transporter dans un monde animé. Ari Folman crée alors lui-même un double de l’actrice, mais animé à la main, à l’ancienne et en se basant sur des scènes tournées en live par les comédiens eux-mêmes. Ainsi le réalisateur montre bien qu’il ne remet pas en cause le processus de numérisation en lui-même mais bien la perte de l’âme, de la personnalité, de l’art en lui-même dans l’industrie cinématographique.
Certains pourraient reprocher à Ari Folman un anti-progressisme, une technophobie, d’autant plus que le style de cette seconde partie emprunte énormément aux débuts de l’animation et particulièrement aux frères Fleisher. Mais ce parti-pris tient plus d’une démarche artistique et plastique, et l’animation du Congrès est par ailleurs elle-même un véritable exploit technique (voir les scènes avec de très nombreuses couches). Pour bien écarter toute ambiguïté, le scénario va même faire se rencontrer Robin Wright et l’animateur de son double numérique, évoquant sa démarche artistique et sa volonté de ne pas la trahir.
Bouleversante odyssée
Si au début le film joue sur la frontière entre fiction et réalité, Le Congrès bascule clairement dans la science-fiction dans sa seconde partie, où le propos va peu à peu glisser vers la frontière entre illusion et réalité. En effet, la fin du cinéma a sonné, désormais les studios ne produiront plus des films formatés pour plaire au plus grand nombre, ils vendront des substances permettant à chacun d’être celui qu’il veut et de se créer un univers qui lui ressemble. Le film se rattache encore au début de cette seconde partie à quelques éléments de notre monde, via notamment ce pastiche de show à la Steve Jobs, rapprochant le monde illusoire vendu par la Miramount à celui de la vie virtuelle actuelle des réseaux sociaux.
Mais Le Congrès finit par totalement se détacher de toute réalité tangible et naviguer dans un monde totalement halluciné, où les personnages historiques se mêlent aux artistes de la pop culture dans un univers aux mille couleurs et envahi par la végétation. La narration, elle aussi, se détache de tout schéma classique, au risque de perdre en chemin ceux qui n’accepteront pas de seulement se laisser transporter. Elle suit en fait l’esprit de Robin Wright, qui ne sait plus à quoi se raccrocher dans cet univers où le rêve à remplacer la réalité. Loin d’un Matrix qui refusait tout aveuglement, Folman se veut moins catégorique, et s’interroge plus qu’il ne livre de réponse préconçue sur une illusion qui endiguerait la peur dans un monde depuis longtemps voué à sa perte.
Finalement sa réponse il la trouve dans la motivation de son héroïne qui, perdue, n’est plus guidée que par le désir de retrouver son fils. Cet amour, ce lien indéfectible entre une mère et son fils, lui, n’a pas changé, n’a jamais disparu, et s’impose comme le cœur suprême du film. Dans les derniers instants de ce voyage cinématographique hors du commun, toutes les réflexions sont mises de côté pour finalement ne laisser place qu’à l’émotion. Le Congrès nous apparaît alors avant tout comme une bouleversante odyssée, portée par une actrice à son sommet, et qui s’achève par un élan d’amour et d’humanité ouvrant à tous les espoirs.
#LBDM10ANS