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LE GARÇON ET LE HÉRON

Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito, un jeune garçon de 11 ans, doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où elle a grandi. Il s’installe avec son père dans un vieux manoir, situé sur un immense domaine, où il rencontre un héron cendré. Celui-ci devient petit à petit son guide et l’aide au fil de ses découvertes et questionnements à comprendre le monde qui l’entoure et percer les mystères de la vie.

Critique du film

« Le vent se lève, il faut tenter de vivre », répétait en 2013 Jirō Horikoshi, protagoniste du Vent se lève, dernier film de Hayao Miyazaki avant sa retraite. Pour la énième fois de sa carrière, le cinéaste japonais a annoncé son départ du monde du cinéma, nous laissant sur l’un de ses films les moins fantastiques, mais peut-être son plus personnel. Dix ans plus tard, le retraité le plus prolifique du septième art n’a de nouveau pas tenu sa promesse, et tant mieux. Il revient avec le grandiose Le Garçon et le Héron, dont le titre initial a été emprunté au roman How do you live ? de Genzaburo Yoshino, publié en France sous le titre Et vous, comment vivrez-vous ?.

Comment vivrons-nous après le départ du maître presque incontesté de son domaine ? Nous en avons déjà la confirmation, Le Garçon et le Héron ne sera pas le dernier film de Hayao Miyazaki, qui travaille déjà sur sa prochaine production. Le long-métrage a pourtant tout d’un chant du cygne, et est sans conteste l’une des œuvres les plus denses de son réalisateur. Mais plusieurs de ses films (Porco Rosso, Le voyage de Chihiro) donnaient déjà l’impression d’assister à un passage de témoin. Dans ce douzième long-métrage, Miyazaki nous emmène dans son rêve éveillé et lâche totalement prise, quitte à perdre son spectateur dans ce tourbillon onirique. Décomplexé de toute attente d’un public qui l’admire et le chérit depuis des années, il s’adresse à lui-même.

Ce nouveau film du maître se vit comme un hommage au Roi et l’oiseau de Paul Grimault, source d’inspiration majeure de Miyazaki et de l‘autre fondateur de Ghibli, le regretté Isao Takahata (Le Tombeau des lucioles, Le Conte de la princesse Kaguya). L’un des bâtiments de la seconde partie du film, à l’architecture antique et féérique rappelle celle du château du film de Paul Grimault, auquel Hayao Miyazaki estime devoir beaucoup. Mais le cinéaste ne dresse pas seulement d’hommage au médium par lequel il nous émerveille depuis Le Château de Cagliostro (1979), il nous assure aussi que son départ prochain est synonyme d’espoir.

L’héritage de Ghibli

Entrepris en 2016, Le Garçon et le Héron est peut-être, selon le producteur Toshio Suzuki,  le film le plus cher de l’histoire du Japon. Et la beauté de ce long-métrage nous plongeant dans les pensées et les obsessions de Miyazaki ne le contredira pas. Dès le prologue nous montrant la mort déchirante de la mère du protagoniste Mahito, le film impressionne par la qualité de ses dessins et de son animation. Celle-ci, majoritairement en 2D, est régulièrement parsemée de quelques éléments en 3D, que Miyazaki souhaite faire ressortir. Un objet particulier, un bâtiment, une pierre flottante lourde de sens… Le tout forme un film d’une splendeur inouïe, dans un style bien différent du merveilleux Conte de la princesse Kaguya, dernier long-métrage à succès de Ghibli – avec Le Vent se lève sorti la même année.

Ce bon en avant vers une beauté jamais atteinte par les autres réalisateurs de films du studio Ghibli – y compris Miyazaki lui-même – fait presque peur. Que se passera-t-il une fois qu’il aura disparu, comme Takahata avant lui ? Au milieu d’une tour en ruines, un vieux sage guide Mahito vers la connaissance. Le sensei cherche un héritier digne de lui. Il ne cherche pas un clone, mais une personne qui, peu importe les difficultés rencontrées, se relèvera toujours pour partager son art. Un successeur qui trébuchera suffisamment pour prétendre à prendre la suite du maitre. Pour Mahito, qui incarne cet héritier, le chemin est semé d’embuches : des perruches difformes cherchent à le disséquer et le manger, tels les gros studios du moment qui viendraient ôter toute créativité des jeunes auteurs, pour les entraîner dans leur machine à profits.

La mort comme point de départ

Pour accompagner Mahito dans son voyage vers une forme de paix intérieure, le compositeur Joe Hisaishi, fidèle compagnon de route de Miyazaki, nous livre une bande originale qui continue de hanter bien longtemps après le visionnage. La musique est presque constante, et contribue à la stimulation auditive du film, renforcée par un mixage sonore millimétré. Ce travail, couplé à l’extraordinaire animation déjà évoquée, permet à Miyazaki de naviguer entre les styles : aventure féérique, drame familial, film d’épouvante… Le Garçon et le Héron traverse les genres comme Mahito traverse les épreuves.

Le long-métrage est coupé en deux : il est d’abord lent et pesant, alors que Mahito tente de faire le deuil de sa mère. Mais il est constamment dérangé par son père, par sa tante, par l’une des nombreuses gouvernantes de la maison… ou par un héron cendré bavard.  Alors qu’il part à la recherche de sa tante, sa nouvelle figure maternelle qu’il veut à tout prix garder, Mahito termine dans un monde qui le dépasse. Pour cristalliser cela, Miyazaki opte pour des décors immenses et remplis de détails, alors que ses personnages ne sont presque que des ébauches. Seul le vieux sage est réellement détaillé, comme si la vie lui avait appris à se fondre dans le décor, et à ne plus se laisser étouffer par l’immensité du monde qui l’entoure.

Là où Le voyage de Chihiro faisait intervenir le fantastique petit à petit, il suffit d’une chute dans un sol mouvant pour que Le Garçon et le Héron passe de récit réaliste à aventure fantastique. Mahito y est entrainé par le héron, cet élégant échassier qui renfermait en lui un lutin disgracieux. Symbole de la mort et du purgatoire dans la mythologie japonaise, le héron permet à Miyazaki de plonger son héros dans un tout autre monde – dont on ne révèlera rien ici – et le forcer à affronter ses peurs. D’abord présenté comme l’échappatoire d’une terrible vérité vers la fantaisie, cet autre monde va s’avérer être le point de départ de la nouvelle vie de Mahito, qui va prendre conscience de son destin.

Le long-métrage accélère la cadence à mi-parcours, et force le spectateur à suivre le guide. Comme dans ses précédentes œuvres, le cinéaste utilise le shintoïsme pour créer de nouveaux êtres attachants. Ici, les boules de suie de Chihiro et les sylvains de Princesse Mononoké laissent leur place aux warawaras, d’adorables petits êtres mis en danger par des pélicans affamés, qui cherchent eux aussi leur place dans un monde qui n’est plus le leur. Récit d’apprentissage sur la mort et la croyance, Le Garçon et le Héron est bel et bien le chef-d’œuvre espéré. Pour en profiter pleinement, il faut toutefois se laisser emporter dans ce monde onirique sans règles préétablies et parvenir, comme Mahito, à lâcher prise. Et vous, comment (le) vivrez-vous ?

Bande-annonce

1er novembre 2023 – De Hayao Miyazaki