LE GARÇU
Le petit Antoine a pour père Gérard, un instable aussi généreux que maladroit, aussi vivant qu’invivable, et pour mère Sophie. Le couple, qui vit plus ou moins ensemble, par en vacances à la mer. Gérard, jaloux de l’amitié que le bambin voue à un autre gamin, se met en colère…
Critique du film
L’année de la sortie du Garçu, Maurice Pialat a 69 ans, et ce film constitue son dixième long-métrage de cinéma, concluant une carrière s’étalant sur plus de trente ans. Il est facile vingt-cinq ans après de définir ce film comme le testament de l’oeuvre d’un des plus grands cinéastes français qui soit. Au delà de ce constat, Le garçu porte bien tous les stigmates du film somme, dernier coup de maître qui résume bien des choses. Tout est personnel dans le film, du choix de Gérard Depardieu comme double de cinéma, jusqu’à celui de son propre fils, Antoine, comme sujet de tous ses regards. Dernier point troublant : le choix d’un titre qui renvoie non pas à cet enfant, mais à son père, absent presque absolu de la narration, et pourtant symbole de la filiation qui surplombe tout.
Les acteurs de Pialat lui ressemble, ils partagent une énergie et un charisme de chaque instant, que ce soit Depardieu à quatre reprises, Jean Yanne dans Nous ne vieillirons pas ensemble, ou même Sandrine Bonnaire, qu’il fait sa fille le temps de A nos amours, comme un symbole de transmission au delà même de la fiction. Le trouble qui envahit Le garçu semble être celui de Pialat lui-même, et le personnage de Gérard aussi tumultueux et mystérieux que la combinaison des deux hommes. Gérard est épuisant, inarrêtable, jamais au repos, impossible à vivre au quotidien, et pourtant indispensable. On ressent sa toxicité dès les premières scènes du film, quand au lit il pousse à bout Sophie, jouée par Géraldine Pailhas.
Pialat brouille les pistes, est-il question de lui ou de Depardieu ? Outre l’utilisation de son prénom, il fait jouer à Elisabeth Depardieu le rôle de son ex-femme, brisant une ligne de plus entre fiction et réalité. Gérard est Depardieu mais pas seulement, il est aussi celui qui permet le questionnement, quel rôle peut avoir ce père qui n’en est pas vraiment un ? Il semble vagabonder, errer sur sa moto, se déplacer au grès des scènes sans qu’on sache véritablement quelle est sa quête. Il ne se définit que par ses excès, ses emportements lyriques, mais aussi par son amour de son petit garçon, seul lien indéfectible avec la réalité. Comme souvent chez Pialat l’enchainement des scènes est parfois dur et brutal, le fil du temps s’emmêle et se confond avec les réflexions hagardes de Gérard. La mise en place de ces scènes permet l’espace d’un instant, fugace, de cerner un sentiment, un battement de cœur.
Le garçu interroge également sur ce que c’est que d’aimer. Gérard semble ne pas savoir quels mots choisir pour définir ce sentiment. Pialat part du couple pour démontrer la fragilité de l’amour chez son personnage, insinuant que le seul qu’il a aimé, à sa manière, est son père, le fameux garçu qui donne son nom au film. A-t-il vraiment aimé une de ses femmes ? Elles semblent toutes en douter, ne pas avoir de certitudes. L’amour, la jalousie, l’agacement, et quelque part l’animation de son être, tout cela ne se révèle que pour Antoine. Sa relation contrariée avec son petit garçon qui semble ne pas le voir, préférant le nouvel ami de Sophie, ou le premier venu qu’il a choisit pour le distraire. Cet amour filial constitue la raison d’être de Gérard, il est l’élément fondateur de son humanité, sans cesse fuyante.
Il est étonnant de constater que les conflits dans le film sont presque doux en apparence. On hurle peu, on règle les situations d’une scène sur l’autre dans une forme de quiétude surprenante, sans luttes véritables. Une fois encore la vérité et l’enjeu se situent ailleurs, dans la place de Gérard dans la vie de son fils, et dans sa capacité à exister en dehors d’apparitions tapageuses comme cette extraordinaire scène où il apparaît en pleine nuit avec un mini-camion, cadeau pour Antoine aussi impressionnant que bruyant. C’est en creux toute la tristesse et le désarroi du personnage qui sont portés par ce moment. Sophie ne peut vivre avec tumulte, elle lui préfère la stabilité et l’effacement de son nouveau compagnon. Ce constat en dit certainement autant sur Pialat que sur Depardieu, achevant leur collaboration commune sur une porte qui se referme, illustrant que l’amour existe, pour reprendre le titre de l’un des premiers courts métrages du réalisateur, mais qu’il est cruel et difficile.
DÉCOUVREZ CHAQUE DIMANCHE UN CLASSIQUE DU CINÉMA DANS JOUR DE CULTE
De retour au cinéma le 4 août 2021
Disponible en VàD sur CanalVOD, La Cinetek, Orange et FilmoTV.