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LE GOÛT DE LA CERISE

Un homme cherche quelqu’un qui aurait besoin d’argent pour effectuer une mission assez spéciale. Au cours de sa quête, il rencontre dans la banlieue de Téhéran un soldat, un séminariste et un taxidermiste. Chacun va réagir à sa proposition de façon différente.

La ruse et la sincérité

À bord de son véhicule, M. Badii sillonne les rues de Téhéran à la recherche de l’homme providentiel. Un dispositif identique à un casting sauvage pour. Il aborde un premier homme qui refuse catégoriquement de monter puis devant son insistance le menace physiquement. Le spectateur du Goût de la Cerise ne sait rien des intentions de ce conducteur au comportement équivoque.

On en apprend davantage alors qu’est monté dans la voiture un jeune appelé qui rejoignait sa caserne à pied. Les deux hommes entament une conversation badine qui tourne progressivement à l’interrogatoire. La tension naît à la fois de la forme de captivité que représente l’habitacle et de la méfiance grandissante du jeune militaire dont on imagine le cerveau développer les risques encourus et les scénario catastrophes, jusqu’à, pourquoi pas, un kidnapping alors que les deux hommes ont déjà quitté la ville. 

Chez Kiarostami, les échanges sont polis sans excès de chaleur. La dualité entre ruse et sincérité est au cœur des relations. On se souviendra du jeune «cinéaste» face à la famille bourgeoise dans Close up ainsi que des conversations entre l’enfant et le reporter dans Le Vent nous emportera. 

Monsieur Badii propose un contrat attrayant et suspect, un travail facile et bien payé. Une fois la nature du travail précisée, il faut alors convaincre, déjouer la méfiance. Auprès du jeune militaire, il avance l’argument financier puis essaye de faire vibrer la corde du courage, allusion à son appartenance au peuple kurde. Avec un jeune séminariste afghan, la discussion prend des contours plus philosophiques. Puisque la religion bannit le suicide – puisqu’il s’agit de cela – comment peut-il devenir complice – vérifier l’état du corps au petit matin – d’un tel acte ? 

Le gout de la cerise

C’est finalement un vieux taxidermiste du musée d’histoire naturelle qui accepte le contrat, non sans avoir plaidé la cause du vivant. C’est une superbe séquence au cours de laquelle, tout en énumérant les plaisirs simples qu’offrent la nature, du couché de soleil jusqu’au goût de la cerise, il guide le conducteur sur une petite route, lui indiquant la direction à suivre à chaque bifurcation, comme on guiderait un impie vers la lumière. 

Écran de poussière

Les nombreux dialogues, les scènes à l’intérieur du véhicule du Goût de la Cerise pourraient laisser entrevoir un film verbeux et claustrophobe. Il n’en est rien. À l’image des spectateurs, les protagonistes vivent l’expérience du mouvement, immobiles dans leurs sièges. Une mise en abyme renforcée par le cadre du pare-brise, écran dans l’écran. Les paysages traversés rendent compte aussi bien de la ville que de la campagne. Les superbes plans larges rendent compte de la progression de la voiture sur les routes sinueuses baignée d’une lumière ocre de plus en plus rasante à mesure que le jour décline.

D’autant plus importants que rares sont les moments où M. Badii descend de son véhicule. Dans l’une de ces scènes à l’opalescente beauté, M. Badii, comme perdu au milieu d’un chantier indifférent à son accablement, voit son ombre traversée par une coulée de terre avant d’être lui-même absorbé par un nuage de poussière, insaisissable linceul de particules fines. 

Tout en développant une grammaire cinématographique inédite, Kiarostami filme la fin du jour à la fois comme une dépression chronique et une épiphanie renouvelée. Il rend la question du suicide légitime et au terme des confrontations de points de vue, se détache de son personnage pour revenir, dans un épilogue inattendu, à un hommage au brouillon, à la tentative. Dans le vert paradis d’une image vidéo tremblée, apparaît le cinéaste et son équipe en repérage, flash-back dans le processus de création, seule séquence accompagnée d’une musique additionnelle. C’est par le souffle de Louis Armstrong que le maître iranien nous confie sa position : ça vaut la peine d’essayer.

Palme d’or au Festival de Cannes 1997 (ex-aequo avec L’Anguille de Shohei Imamura), Le Goût de la cerise consacra son auteur et avec lui, toute la cinématographie iranienne émergente, désormais durablement installée parmi les plus fécondes du cinéma mondial.


Disponible sur MUBI


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