LE LIVRE DES SOLUTIONS
Critique du film
La créativité de Michel Gondry ne semble pas avoir connu de pause à l’intérieur de formats variés tels que le clip, la publicité, la mise en scène de défilés de mode ou des courts-métrages publiés sur Instagram. Pourtant, depuis 2015 et les aventures de Microbe et Gasoil, il n’avait pas réalisé un long-métrage alors qu’il en signait environ un tous les deux ans depuis le début des années 2000. Que s’est-il passé durant ces huit années ? Comment un réalisateur parvient-il à vivre quand il ne tourne pas, ni ne finit ce qu’il a commencé ? C’est ce trou existentiel que prend pour sujet Le Livre des solutions, autofiction hilarante et inspirée d’un cinéaste en crise.
Si le réalisateur n’a pas le dernier mot sur le montage de son film, il a tout perdu, rappelle David Lynch dans une scène du documentaire Lynch/Oz en salle actuellement. C’est exactement ce qu’est en train de comprendre Marc (Pierre Niney) quand ses producteurs lui demandent de corriger sa nouvelle œuvre, à laquelle personne ne comprend rien. Pour leur tenir tête, il organise une fuite comme on planifie un braquage : avec sa monteuse (Blanche Gardin) et son assistante (Frankie Wallach), il embarque sa tour de montage et tous ses rushes pour se rendre dans la maison de sa tante (Françoise Lebrun) dans les Cévennes. Là-bas, en toute tranquillité, l’autarcie devrait être propice à la finalisation du projet. Mais cette fuite raconte moins un mouvement vers l’avant qu’un mur contre lequel il bute, accablé par le doute, refusant de faire face à sa propre création, avec une envie irrémédiable de se terrer tout en débordant d’idées et en ne sachant pas les canaliser.
Cette angoisse est un moteur de comédie constant, où la moindre idée farfelue ou brillante du réalisateur tire un nouveau fil et ouvre une étendue de situations. Le titre du film évoque le cahier que se met à tenir Marc, un ensemble de règles qu’il se fixe, or c’est à peu près tout le contraire de ce qui advient dans son quotidien, soumis à aucun ordre cohérent, ce dont pâtit le petit monde réuni autour de lui. Réveil en pleine nuit, demandes improbables, heures de travail dérégulées, tout cela se succède sur un mode humoristique en crescendo autour d’un énergumène assez sympathique, mais raconte aussi la violence que peut infliger un metteur en scène à son équipe, cinéaste-vampire et tellement inapte au monde concret qu’il ne réalise pas que tout cela dépasse les bornes.
Avec une autodérision constante, et surtout une immense sincérité qui trahit une urgence de prendre du recul, Michel Gondry a réussi à faire du tri dans son désordre et à conserver son originalité visuelle la plus dense, son art de l’accessoire, ce goût unique dans le cinéma contemporain pour les inventions à la Boris Vian (le « camiontage » rappelle la logique du « pianocktail »). Son cinéma bricolé, fabriqué en famille, s’affirme comme un rempart face à l’uniformisation et une garantie d’indépendance. Souhaitons qu’il la conserve encore précieusement.