LE MIRACLE DE BERNE
Allemagne, été 1954. Dans un coron d’Essen du bassin minier de la Ruhr, la vie de Matthias, jeune garçon de 11 ans, change du tout au tout. Alors que son idole et père de substitution, Helmut Rahn, vedette de l’équipe nationale allemande de football, se prépare à partir en Suisse pour la Coupe du monde, son père, prisonnier de guerre en Union Soviétique, rentre finalement en Allemagne. Matthias veut à tout prix rejoindre Helmut Rahn à Berne pour lui porter chance. Lors de cette finale, pour chacun, de manière différente, se produit alors un miracle.
CRITIQUE DU FILM
Il est toujours curieux de constater qu’à chaque grand évènement sportif se joue quelque chose qui dépasse le cadre de la discipline mise en avant. Qu’il s’agisse de son lieu d’accueil, du contexte dans lequel il se tient – voir même et surtout, des athlètes appelés à se surpasser – les compétitions de grande envergure ont un parfum de transcendance qui ne ressemble à aucun autre.
Sorti dans les salles allemandes en 2003, soit presque cinquante ans après les faits, Le Miracle de Berne retrace le parcours incroyable de l’Allemagne lors de la Coupe du Monde de Football organisée en Suisse en 1954. Comme souvent lorsqu’il s’agit d’un film basé sur des évènements historiques, la difficulté pour le réalisateur consistait à sortir du simple cadre des faits pour en capter la véritable essence. Si la manifestation sportive comportait déjà en elle-même bon nombre de symboles – le retour de l’évènement en Europe, sa tenue en territoire helvétique resté neutre durant la Seconde Guerre Mondiale – c’est bien la participation de cette Allemagne en pénible reconstruction qui suscitait les interrogations, et qui durant tout un été, aura vibré comme un seul homme derrière son onze d’exception.
Pour dépeindre au plus juste tous les enjeux, et rendre compte de l’importance du moment aussi bien en dehors que sur le terrain, Sönke Wortmann décide de recourir au procédé classique mais efficace de lier réel et fiction, dans un film chorale où plusieurs destins vont se croiser, s’écarter et enfin tous se retrouver à Berne, ce 4 juillet 1954. Ainsi, en parallèle du quotidien des joueurs et de leur entraineur, nous suivons deux familles très différentes mais bien représentatives de la société allemande d’après-guerre. D’un côté, les très aisés jeunes mariés Ackermann, qui tronquent leur lune de miel pour les impératifs professionnels de monsieur – journaliste sportif chargé de couvrir la compétition pour la célèbre Süddeutsche Zeitung, et de l’autre, la famille Lubanski dont le quotidien très modeste se retrouve bousculé le jour où le père, Richard, rentre de captivité. Si la première donne un ton comique et plutôt léger au récit, la seconde lui insufflera autant sa part de sentiment que de critique sociale – faisant du Miracle de Berne une œuvre remarquable de justesse, aussi complète que divertissante.
CHAQUE ENFANT A BESOIN D’UN PARENT
Au-delà du sport et de sa capacité à rassembler, c’est le thème du père et de la filiation qui est filé tout au long du film – illustré en particulier par la relation entre Matthias Lubanski et son père, Richard. Ce dernier, qui découvre l’existence de son benjamin à la descente du train qui le ramène chez lui, regagne alors un foyer qu’il ne reconnait plus. Durant son absence, c’est sa femme Christa qui a mené de front la gérance d’un café de quartier et l’éducation de leurs deux autres enfants, Bruno et Ingrid. Face à une femme indépendante et déterminée, un ainé encarté au parti communiste et une cadette flirtant avec les soldats anglais présents dans la ville, il tente alors de regagner en autorité sur le petit dernier qui, de son côté, a trouvé en Helmut Rahn, attaquant du club Rot-Weiss Essen et sélectionné en équipe nationale, un véritable père de substitution.
Rahn quant à lui, fait figure d’enfant terrible au sein de la Mannschaft. Impétueux, plutôt individualiste, ses excès en font un complet vilain petit canard, et ce d’autant plus qu’il est placé sous la surveillance plus ou moins volontaire de son camarade de chambrée – le très talentueux capitaine de l’équipe, Fritz Walter – sur ordre du sélectionneur Joseph « Sepp » Herberger. Ces dynamiques, témoins de ce que les analystes appelleront plus tard « l’esprit Spiez », en référence au nom de l’hôtel où séjournaient les joueurs allemands et symbole de leur cohésion, jouera pour beaucoup dans leur ascension jusqu’à la finale. Car outre leurs remarquables performances sur le terrain, c’est bien la fraternité et l’esprit de famille au sein d’une équipe composée de joueurs tous venus de clubs et milieux sociaux différents qui les poussera en avant.
CHAQUE PASSIONNE A BESOIN D’UN RÊVE
Décidé à reconstruire « à la passe près » l’ultime rencontre contre les Hongrois – alors invaincus en 31 matchs, et ayant corrigé le onze allemand d’un violent 8 : 3 durant la phase des poules – Sönke Wortmann a la brillante idée de ne montrer aucune autre partie à l’écran, préférant les raconter par le prisme du regard des enfants de la Ruhr et de leur passion, qui colore leur bien gris quotidien entre boue et ruines.
Que ce soit en filmant leurs oreilles collées toutes contre les appareils radios pour ne rater aucun mot de la retransmission audio, ou les pancartes et autres messages envoyés par pigeons voyageurs affichant les scores lorsqu’ils n’ont pas pu suivre les matchs, c’est également en superposant les commentaires originaux de l’époque sur des images les montrant s’adonner à des parties amateurs que Wortmann réussi la fine juxtaposition entre importance historique et ressenti personnel, essentielle à la compréhension de son propos.
De plus, le tournant que prend la compétition va progressivement embarquer les moins convaincus du ballon rond, voir même déclencher des vocations de supporter. Ainsi Annette Ackermann, qui voit son voyage de noces annulé au profit de la promotion de son époux Paul, prendra un plaisir croissant à la découverte de ce sport – au point de parier qui d’elle ou de son mari aura le choix du prénom de leurs futurs enfants suivant l’issu du match, persuadée d’une victoire de l’Allemagne.
CHAQUE PAYS A BESOIN D’UNE LÉGENDE
Construit sur le modèle d’une rencontre de 90 minutes, exposition des enjeux et des personnages en constituent la première mi-temps, là où leur développement fait d’avantage figure de seconde période. Ainsi, la très fidèle reconstitution de la finale tant attendue prend des airs de prolongations – et ce pour le plus grand plaisir du spectateur. Outre celui de retrouver à un même endroit tous les personnages que l’on a suivi jusqu’alors, la finale de Berne est un écrin de prouesse technique et de nostalgie naturelle, vibrant au rythme de la seule voix de Herbert Zimmermann – commentateur star de l’époque. Peu importe que l’on connaisse ou non l’issu de la rencontre, le miracle se produit autant devant que derrière la caméra.
Si les avis vont bon train sur la question, personne, encore aujourd’hui, n’arrive vraiment à s’expliquer ce qu’il s’est passé ce 4 juillet. Était-ce le fameux « tous pour un, un pour tous » prôné par Herberger durant les phases de préparation ? La météo dite « Fritz Walter » en référence à ce capitaine d’exception qui, à la suite de paludisme, ne pouvait montrer ses meilleures performances que par temps de pluie ? Ou bien tout simplement la nation allemande qui ressortait à nouveau les drapeaux sans honte et sans accusation de nationalisme ?
Servi par un impeccable jeu d’acteurs, rythmé par des dialogues plus cultes les uns que les autres, ainsi qu’une bande son qui reste longtemps en tête, Le Miracle de Berne offre un moment de cinéma aussi émouvant qu’intelligent, et donne la pleine mesure des mots affirmant que « le football est le reflet de notre société. » Nous étions, là aussi en été, et ils sont signés Aimé Jacquet.
De retour au cinéma le 9 juin 2021