LE MONDE DE DEMAIN
Le monde de demain raconte la naissance du mouvement hip-hop français dans les années 1980, à travers la naissance du groupe mythique NTM, et de la danseuse et graffeuse Lady V, le parcours du DJ pionnier Dee Nasty et de sa compagne Béatrice jeune Parisienne rebelle et frondeuse. Réalisée par Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, une saga joyeuse, rebelle et explosive aux personnages attachants, qui embrasse la révolution culturelle d’une jeunesse en quête de reconnaissance.
Critique de la série
Après Suprêmes, long-métrage réalisé par Audrey Estrougo, un deuxième projet fut développé cette fois-ci dans un format de mini-série en 6 épisodes par le duo composé par Katell Quilévéré et Hélier Cisterne. Passer par ce type de narration permet tout d’abord aux créateurs de faire exploser la durée de leur récit. De 1h52 pour le film on passe à 5h20 pour Le monde de demain, qui révèle dès ses premières images une ambition toute autre qui dépasse de loin les simples épaules de Kool Shen et Joey Starr. Là où le biopic se resserrait principalement autour du fantasque antillais, oubliant à peu près tous les autres personnages potentiels, Cisterne et Quillévéré se plongent dans la naissance du hip hop, et nous emmènent à Paris entre 1983 et 1991. C’est toute une galerie de visages qui défilent devant l’écran, mais aussi toutes les strates qui composent cet art, du graff au rap, en passant par la danse et le scratch.
Si Bruno Lopes et Didier Morville sont très présents dans l’histoire, ils n’en sont en quelque sorte que les effets les plus visibles. L’étincelle qui fait naître le brasier hip-hop et qui allume la lumière en France est plutôt à chercher du côté de Daniel, qui de retour d’un voyage à San Francisco, change à jamais le paysage de la musique urbaine à Paris. Sous le nom de Dee Nasty, il produit et fait graver le premier album de Hip-hop français, et par le biais de son talent et de son énergie, fait émerger toute une génération dont font partie le groupe de Saint-Denis. Les deux auteurs ont du temps, et ils le mettent à profit pour creuser à la fois les détails de cette genèse, mais aussi pour créer de la fiction au cœur de cette « histoire vraie ». Un des défauts principaux de Suprêmes fut de singer le réel dans une volonté de reproduire à l’identique des moments iconiques du groupe NTM, comme par exemple leurs passages télévisuels. L’erreur vient du fait que tous deux étaient déjà trop romanesques et plus grands que la vie, toute imitation ne pouvant dès lors être que médiocre.
Dans Le Monde de demain, les situations sont proches du réel, mais toujours un peu à côté, comme une face B de ces moments qui restent encore très présents dans les mémoires. La grande qualité des choix de mise en scène vient de cette distance et de cette interprétation personnelle qui, à chaque instant, rappelle l’absence de calcul et de carriérisme chez Bruno et Didier. Chaque épisode va se saisir d’un morceau du bouillonnement des années 1980, époque pourtant sinistre où les rêves se sont évaporés au milieu du chômage de masse et de la mort des idéologies. Bruno, devenu Kool Shen, prend un chemin sans trop savoir pourquoi, juste par plaisir. Didier fuit un père violent et une absence d’avenir, papillonnant dans le monde de la mode qui le remarque, lui et son physique incroyable, cette gueule qui ne laisse personne indifférent.
Un milieu d’hommes, mais pas seulement
La série prend bien le soin également de ne pas être composée que d’histoires masculines, soulignant que des jeunes femmes, dès le début, ont inscrit leurs noms bien haut au milieu de toute cette testostérone et cette atmosphère délétère. Que ce soit avec Lady V ou sa mère Patricia, Le monde de demain rappelle la difficulté de se faire une place dans un milieu qui ne veut pas de vous et vous réduit à peu de choses, jusqu’à la caricature la plus crasse. Mais l’actrice qui brille le plus au milieu de tous ces hommes est sans aucun doute Léo Chalié, qui joue Béatrice, qu’on retrouve aux cotés de Dee Nasty dès le premier épisode. Cet arc narratif est la cheville ouvrière de tous les autres fils qui se rejoignent autour d’eux. Si Daniel/Dee Nasty introduit une nouvelle culture musicale et des moyens d’expressions comme ses sessions « open mic », c’est bien Béatrice qui fait palpiter le cœur noir de cette histoire.
On la retrouve ici sur le muret attenant au terrain vague de la Porte de la Chapelle, là à la caisse pour les soirées funk du Globo. Elle est aussi déchirante d’émotions dans les épisodes 5 et 6 où elle révèle des failles gigantesques. L’espace d’un instant, sur une sublime lumière mauve dans une sordide cabine de peep show, la série bascule dans une autre dimension, affranchie du carcan des figures imposées qui sont autant de gangrène pour ce type de récits trop souvent balisés et insipides. Chaque épisode a son moment où Daniel et Béatrice font monter l’intensité dramatique, tels des phares permettant à l’histoire de ne jamais s’échouer sur les récifs de la facilité.
Anti Success Story
Le bon goût du Monde de demain est aussi de s’arrêter là où beaucoup auraient commencé : juste avant le succès et la gloire. Ce qui intéressait Quillévéré et Cisterne est bien ce premier âge où l’on retrouve pêle-mêle Solo et Rockin’Quat d’Assassin, Nina Hagen sur un bout de quai de Seine, ou les copains du quartier qui partagent la même passion sans jamais se faire de cadeaux. Tout s’arrête donc juste après la sortie du tout premier album, Authentik, et la fin d’une certaine idée de faire du rap, comme un braquage (pour reprendre les mots des deux NTM), sans même savoir s’il y aura un lendemain à ces prémisses. Pas de saison 2 dans cette aventure : à la fin de l’épisode 6 tout a été dit, aucune suite n’est désirée ou désirable tellement le plat est complet, juste et appréciable. Cinéastes talentueux, Hélier Cisterne et Katell Quillévéré réalisent ici leur plus beau projet, un exploit étant donné la difficulté de l’entreprise, avec une force et une émotion retentissantes. Une série immanquable.
Bande-annonce
Disponible en DVD/Blu-ray dès octobre 2022 et sur Arte.tv (6 épisodes de 50 minutes) –
D’Hélier Cisterne et Katell Quillévéré, avec Anthony Bajon, Melvin Boomer et Andranic Manet.