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LE ROBOT SAUVAGE

L’incroyable épopée d’un robot – l’unité ROZZUM 7134 alias “Roz” – qui après avoir fait naufrage sur une île déserte doit apprendre à s’adapter à un environnement hostile en nouant petit à petit des relations avec les animaux de l’île. Elle finit par adopter le petit d’une oie, un oison, qui se retrouve orphelin.

Critique du film

Bien que la représentation d’animaux anthropomorphes, en directe filiation avec le dessin satirique, ait irrigué tout le cinéma d’animation depuis ses origines, peu d’œuvres grand public y ont recours aujourd’hui pour sa portée sociologique ou politique. Le long-métrage d’animation mettant en scène des animaux parlants est devenu une sorte de convention, misant en premier lieu sur le plaisir de voir une chose fantaisiste et impossible se dérouler à l’écran, et délaissant une dimension plus critique que l’on retrouvait dans Le Roman de Renard, Le Livre de la jungle ou encore La Ferme des animaux. Le maladroit Zootopie, sorti en 2016, avait fait exception en abordant frontalement des questions de société, mais toutes les thématiques soulevées par l’environnement dans lequel évoluaient les personnages ont fini asséchées par un discours simpliste sur le vivre ensemble. Le propos similaire de Le robot sauvage trouve néanmoins un accomplissement tout autre, et ce dès l’oxymore de son titre – comment un objet fabriqué par l’homme pourrait-il être qualifié de sauvage, comment pourrait-il retrouver un lien avec l’idée de nature absente de son origine ?

Le récit résout cette équation difficile en faisant de l’île, sur laquelle se retrouve accidentellement échoué le robot Roz, non pas une simple toile de fond, mais un environnement social vivant où des individus évoluent, où des rapports de force sont établis et où des codes comportementaux structurent toutes les interactions. Le nœud de l’histoire comme celui de la dimension humoristique des scènes est donc cette friction entre un monde organique, sauvage, et le mode de fonctionnement de Roz, robot domestique programmé pour s’intégrer dans un monde civilisé séparé de la nature, et pour répondre à des tâches précises de manière logique.

Rien d’étonnant à ce que le film commence par la mise en échec systématique des directives que suit le robot abandonné : la question « Avez-vous besoin d’assistance ? », répétée jusqu’à l’absurde à des animaux sauvages effrayés, montre la profonde inadéquation d’un service à la personne ultra-performant, que la société humaine érige pourtant en besoin, une fois qu’il ne s’exerce plus dans le cadre de la vie quotidienne urbaine mais dans la réalité de la nature. Le robot, incapable de remplir sa fonction, décide de passer en « mode apprentissage » et plonge dans une longue veille, amassant quantité de données sur l’écosystème qui l’entoure, jusqu’à apprendre à parler avec la faune sauvage. Cette séquence défilant en accéléré, qui conclut la première partie du film, opère un maillage définitif entre l’être-machine et son nouvel environnement. Roz se rend perméable à celui-ci, quitte à se recoder entièrement pour mieux lui correspondre.

le robot sauvage 

Le long-métrage témoigne à ce moment du sujet qui le travaille en profondeur : comment l’environnement façonne les individus qui y vivent ? Ne faisant pas du robot le cas unique de son étude, le récit lui glisse dans les jambes un oisillon nouveau-né dont le nid a été détruit par accident. Le bébé, surnommé Joli-Bec, se prend d’affection pour le Roz qu’il considère comme sa mère, et celle-ci décide de l’élever sur le conseil un peu sournois d’un renard nommé Escobar. La thématique du rapport entre environnement et individu se retrouve prolongée et tordue avec humour par question de l’éducation et de la transmission. Le robot se place malgré lui comme un intermédiaire maladroit, un grain de sable dans le fonctionnement naturel de l’apprentissage. Il ne transmet pas simplement un comportement adéquat face aux dangers de la nature, mais plutôt : il comprend partiellement certains mécanismes de la vie sauvage, les transmet à Joli-Bec en ajoutant une part de son expression et ses fonctionnements personnels, ce qui conduit l’oiseau à adopter un comportement hybride, trop rationnel pour un animal, singeant les déplacements mécaniques de sa mère adoptive ainsi que les bruits et les commandes qu’elle exprime à voix haute.

Le film hérite ainsi de la comédie de mœurs, mettant au centre de son humour la question des conventions sociales et des problèmes de communication de Joli-Bec avec les membres de son espèce, engendrés par la reproduction de gestes et de paroles qui appartiennent au machinique. Si les premières interactions avec les autres oies sauvages échouent, celles entre le jeune oiseau et sa mère se maintiennent et fonctionnent de manière évidente dans les deux sens : la brutalité des gestes et des mots de Roz – ou plutôt ce qui passe pour de la brutalité aux yeux du spectateur –, qui répondent à une logique protocolaire au départ, finissent par s’assouplir.

Le Robot sauvage reprend ainsi le stéréotype du robot au grand cœur – on sent parfois l’influence de productions antérieures – mais évite le larmoiement que charrient facilement les productions américaines consacrées à la famille et au passage à l’âge adulte. Le film de Chris Saunders va pourtant chercher l’émotion à plusieurs reprises, mais travaille avec beaucoup de soin les différentes personnalités des protagonistes et leurs discussions pour constituer un beau mélodrame. Quitte à composer habilement avec certains obstacles volontairement choisis : l’empathie envers Roz est par exemple davantage permise par l’interprétation à la fois mécanique et chaleureuse de Lupita Nyong’o que par son visage sans nez ni bouche, totalement dénué d’expression. La quasi-absence des humains, réduits à de vagues silhouettes dans une poignée de plans, permet au robot d’échapper aux comparaisons, mais affirme également avec fermeté la position dans laquelle se place le film : le passé de Roz, son ancrage dans le monde civilisé, importent peu. Ce qui se déroule au temps présent sur cette île sauvage, indépendamment des hommes, compte en revanche véritablement.

 Le robot sauvage

Cette forme de décentrement du récit permet de relever un autre problème, un constat qui n’apparaît que par contrepoint : la société humaine que l’on entraperçoit semble bien portante, mais vit désespérément séparée de la nature, dans une sphère protégée, et redoute le risque, l’infection, l’intrusion. Le parcours de Roz montre tous les bénéfices de la démarche inverse, à commencer par l’apprentissage de soi et des autres, quand bien même il se construit dans un environnement hostile et dangereux. L’infatigable running gag du film, à savoir l’irruption brusque d’un prédateur depuis le hors-champ pour faucher un personnage ou un objet au centre de l’image, cristallise l’idée que se fait le réalisateur du monde sauvage : un espace résolument dangereux, où le drame peut survenir très vite, de manière si brusque et systématique qu’il est possible de lui attribuer une forme cinématographique et de le rendre comique. Ce motif du jaillissement, qui ponctue de nombreux échanges entre les personnages, est le point culminant d’une conception plus large du monde sauvage, du wilderness, comme espace à traverser. 

Bien que l’intrigue soit limitée à une île, la mise en scène joue des perspectives, notamment dans la première partie, retournant avec souplesse la caméra pour lier champ et contrechamp et dévoiler des zones étendues, mi-terrains de jeu escarpés mi-chemins de fuite vertigineux. Le long-métrage, peu avare en scènes d’action, déploie des traversées de forêt en toute hâte, des course-poursuites frénétiques sur les cols de montagne et, plus tard, dans les airs. Il rejoue ainsi quelque peu le mythe westernien de la conquête du territoire, mais abandonne toutefois la notion de fondation qu’elle implique à l’arrivée du voyage. Point de ça ici : laissons leur civilisation et leur petite bulle fixe aux humains, continuons de parcourir les étendues sauvages à toute vitesse, jusqu’au bout du territoire et par-delà les mers s’il le faut.

Bande-annonce

9 octobre 2024 – Chris Sanders, avec les voix de Lupita Nyong’oPedro PascalKit Connor