LE SEL DES LARMES
Critique du film
Plus de cinquante ans de carrière, et une vie dédiée presque toute entière à la mise en scène. Philippe Garrel est une figure tutélaire à l’intérieur du cinéma français, un survivant d’une époque glorieuse où brillait la Nouvelle vague, Jean Eustache, émergeant tel un astre que beaucoup qualifièrent de « rimbaldien ». Son univers poétique fut en effet construit autour de films non narratifs d’où jaillissaient des émotions, des couleurs uniques. On pense notamment à La cicatrice intérieure (1972), où il filmait tour à tour Nico, Pierre Clementi, oui lui-même dans un rôle de diable inoubliable. Sa soif de créer de nouvelles images ne semblent pas devoir se tarir, à 72 ans, Le sel des larmes est son cinquième long-métrage en une décennie.
LES AMOURS INÉGAUX
La beauté de la photographie noir et blanc de Renato Berta captive dès les premiers plans. Ce choix esthétique répété ces dernières années, semble vouloir toujours plus resserrer la caméra autour de l’intime et du couple. C’est aussi un moyen pour figer l’action dans une intemporalité troublante, désuète même, jusqu’à la caricature dans certaines scènes. C’est là le premier témoin d’un malaise : s’il ne porte de regard moral sur son personnage principal, celui-ci est de tous les instants et cela en devient gênant. En effet, Luc est un jeune homme volage, il semble se moquer des sentiments des femmes qu’il rencontre, et la voix off utilisée entre les séquences le précise clairement : il est lâche. Terriblement même. Cette dégradation du personnage, qui devient de plus en plus antipathique avec l’avancée du récit, en devient même très agaçante.
La première séquence présente Djemila, la première des conquêtes de Luc, jouée par la très intéressante Oulaya Amamra. Leur rencontre est banale, à un arrêt de bus, elle aide ce provincial un peu perdu à Montreuil. En très peu de mots et quelques minutes, Philippe Garrel réussit à établir une connexion entre ces deux personnages qui fonctionnent étonnamment bien. Le souffle court des amants, les mots susurrés qui révèlent avec pudeur des sentiments, tout cela crée une fugue amoureuse qui touche en plein cœur. Craintive, elle se refuse à lui, c’est avec ce point de bascule que toute la veulerie de Luc éclate pour ne jamais redescendre, pire elle ne fera qu’augmenter jusqu’au dégoût.
Si le projet du film semble être de montrer les visages de l’amour, et une forme d’indécision juvénile face à ceux-ci, on ne peut rapidement plus voir que les contours d’une masculinité toxique qui ne passe son temps qu’à se regarder sans jamais s’assumer.
Luc blesse ces femmes, il abandonne Geneviève après avoir délaissé Djemila, il rend inconsolable tous ceux qui le croise. Quel regard a bien pu vouloir poser l’auteur sur son personnage principal ? Pourquoi montrer autant la nudité féminine quand l’homme reste toujours caché, dépourvu de corps, son désir n’étant jamais incarné que par celui de ses rencontres. Le sel des larmes semble à cet égard fossilisé dans un passé où la romance n’a d’autre point central que le masculin, phallocrate, tout puissant. Doit on plaindre Luc dans son final où la fatalité semble l’accabler de toute part ? Las, il est plus évident que la médiocrité de ses actions l’ont projeté dans des abysses dont il ne saurait devoir s’extirper.
Il est bien difficile en fin de compte de ne pas être déçu par cette nouvelle aventure « garrelienne », dont on a bien du mal à croire qu’elle ne fait autre chose que de se complaire dans des motifs éculés et plutôt nauséabonds. Il est sans doute préférable de ne retenir que la très belle performance d’Oulaya Amamra, sa sensibilité de jeu, et la justesse de ses émotions qui font retenir son souffle avant d’être emportée par les affres d’un amour qui n’a existé que dans son cœur, maltraité par un être masculin des plus méprisables.
Bande-annonce
14 juillet 2020 – De Philippe Garrel, avec Logann Antuofermo, Oulaya Amamra, André Wilms