LE SYNDROME CHINOIS
Kimberley Wells (Jane Fonda), ambitieuse et opiniâtre journaliste d’une petite chaîne de télévision locale, tourne un documentaire à la centrale nucléaire Ventana de Los Angeles. Un incident nucléaire survient au cours de la visite, le cadreur de Kimberley, Richard Adams (Michael Douglas), en profite pour filmer secrètement l’incident.
Critique du film
Admirablement réalisé par James Bridges, ce thriller nous plonge avec calme dans la tension grandissante liée aux risques nucléaires, et d’un en particulier. Le syndrome qui donne son nom au titre évoque une fuite de déchets radioactifs qui, si elle advenait, creuserait le sol américain jusqu’à atteindre l’autre bout du globe, soit la Chine. Les enjeux techniques sont expliqués brièvement et sans didactisme, le scénario préférant se concentrer sur le fait que, même pour des scientifiques chevronnés, l’erreur humaine est possible et pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Bombe humaine
À l’image, une réalisation épurée mais très efficace, dépourvue de toute bande-son pour mieux se focaliser sur la tension et insister sur le caractère millimétré des données manipulées. Le dispositif mis en place (mise en scène soignée, cadrage précis, montage minutieux) permet d’insister sur le caractère sensible de ce qui se joue et la gravité des événements. La narration, fidèle à la temporalité, évite les ellipses et prend le temps de s’attarder sur les visages anxieux, sur des silences éloquents, ce qui renforce le sentiment d’immersion. Avec les années, la charge de la réflexion environnementale de ce thriller résonne d’autant plus que, 45 ans plus tard, la question des risques liés au nucléaire revient encore régulièrement au centre des débats.
L’influence de Pakula
Le Syndrome Chinois s’inscrit totalement dans son époque en refermant la décennie qui a vu l’éclosion d’un sous-genre, le thriller paranoïaque. Jane Fonda en sait quelque chose, elle qui a tourné une dizaine d’années auparavant dans Klute, sous la direction du maître du genre, Alan J. Pakula. Il y a cependant un autre film de Pakula auquel on pense en regardant Le Syndrôme…, c’est Les Hommes du Président. En effet, dans cet autre sous-genre qu’est le film de journalisme, ce dernier fait lui aussi figure de maître étalon et l’on s’étonne d’ailleurs que le film de Bridges ne soit pas plus souvent cité à ses côtés comme faisant partie des références au même titre que Zodiac ou À cause d’un assassinat. Car ici, le journalisme est synonyme de liberté, de puissant organe utilisé pour le bien commun comme rempart contre le capitalisme froid qui pense d’abord à ses milliards avant de se soucier des risques humains. On note d’ailleurs avec amusement que Bridges filme le trio d’hommes à la tête de la centrale avec un recul éloquent, comme s’il s’agissait d’une engeance avec laquelle il valait mieux garder ses distances.
La catastrophe imaginée dans le scénario a des allures de prescience lorsqu’elle trouve un malheureux écho dans le grave accident déclaré dans une centrale américaine quelques jours après la sortie du film. Côté casting, c’est du solide avec une Jane Fonda très inspirée dans le rôle de Kimberley. Le scénario, décidément moderne dans son traitement des rapports homme/femme, en fait une working girl dont l’ambition n’est pas parasitée par une romance superflue. Fonda est d’autant plus crédible dans ce rôle que ses prises de positions politiques et pacifistes ne sont pas éloignées des convictions de Kimberley Wells.
À ses côtés, Jack Lemmon impressionne lui aussi dans un de ses plus grands rôles, en tant que gérant tracassé d’une centrale confronté de plus en plus durement aux risques de sa profession et en particulier à un dilemme angoissant. Michael Douglas est la dernière pièce de ce trio central. L’acteur, également producteur du film, joue ici un rôle secondaire mais mémorable grâce à son aplomb et son espièglerie.Bien avant la catastrophe de Tchernobyl, Le Syndrome Chinois est le premier film à aborder le thème du nucléaire civil et ses éventuelles conséquences. En évitant de céder au catastrophisme, il joue habilement avec la tension que suscite de tels risques. Il est grand temps de redonner une seconde vie à ce thriller haletant.