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LE TROISIÈME HOMME

Holly Martins, un minable écrivain américain, est venu retrouver son ami Harry Lime dans la Vienne dévastée de l’après-guerre. Mais celui-ci est retrouvé mort après avoir été écrasé par une voiture. Martins choisit alors de mener sa propre enquête pour démasquer les assassins de son ami. Rien ne l’a préparé à ce qu’il va découvrir… 

Cycle Palmes d’Or

« En Italie, pendant trente ans, sous les Borgia, ils ont eu la guerre, la terreur, le meurtre, les effusions de sang, et ils ont produit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, ils ont eu l’amour fraternel, cinq cents ans de démocratie et de paix, et qu’est-ce que cela a donné…? La pendule à coucou. » 

Le Troisième Homme, unique Grand Prix du festival de Cannes 1949 (à l’heure où la Palme d’or n’existait pas encore), tient sa ligne directrice dans cette seule réplique d’Orson Welles. Le Vienne post-Seconde guerre mondiale est un théâtre de simulacres et de (n)on-dits. Dans cette capitale, encore considérée aujourd’hui comme un repaire d’espions et de malfrats haut placés, se tient Holly Martins, minuscule romancier fauché, arrivé là par hasard mais qui reste sans grande raison. Le réalisateur Carol Reed sait tout ça, et en joue avec habileté : l’essentiel de sa mise en scène n’est pas tant d’exacerber son enquête ou de la rendre incompréhensible, plutôt d’en faire un entremêlement absurde et froid déclenché par mégarde par un protagoniste bien trop curieux. Par là-même, Reed ne s’embarrasse pas à rendre sa Vienne plus vraie que nature. Sa cartographie de la ville, construite de manière verticale (du haut des immeubles richissimes d’Autriche jusqu’au tout-à-l’égout à l’architecture futuriste) présente évidemment les différences de classes entre actants mais aussi une structure scénaristique au cordeau, où le réel de l’Autriche paraît être un décor issu d’un imaginaire kafkaïen ; aux multiples péripéties parfois plus vraies que nature.

Eu égard à ces circonvolutions narratives dignes d’un film Noir, le projet cinématographique mérite grandement le coup d’œil par ses choix formels issus de divers courants d’époque. Les plans débullés lors des scènes de dialogue, les éclairages anti-solaires ou hyperboliques (la première apparition du personnage de Orson Welles en est l’acmé) rappellent bien sûr l’expressionnisme allemand des années 1920. Toutefois, Le Troisième Homme ne s’interdit pas des écarts stylistiques. Le film appuie les descriptions visuelles tel un documentaire, montre à l’image les petites gens qui grouillent, spectateurs d’une cacophonie dont ils ne se souciaient guère, mais dont ils sont bien malgré eux témoins. L’exemple le plus frappant est ce parallèle entre introduction et final où, alors que Henry Lime aurait été tué place publique sans que personne ne s’en rende compte, sa fuite finale pourtant en partie en sous-sol se fait dans un fracas monstrueux qui réveillerait le tout-Vienne. Ainsi, Le Troisième Homme n’est pas novateur ni successeur d’un genre ou d’un style ; il est la résultante d’un agrégat formel qui lui donne sa singularité et sa tonalité.

Le troisième homme

Ce caractère, au demeurant unique, de mêler la dramaturgie exagérée de l’expressionnisme allemand et un semblant de réel – en tout cas une atmosphère plus « réaliste » – proches des courants néo-réalistes fait écho à la scène de la conférence donnée par le personnage principal dans une séquence clé. Holly Martins, romancier médiocre de westerns à petite notoriété, déclare vouloir écrire sur une affaire inspirée de faits réels – en l’occurrence, celle qui le pousse à rester en Autriche. L’un des spectateurs, à l’allure suspecte, lui assène de faire attention de ne pas trop mélanger réel et fiction, de peur que Martins se perde dans quelque chose qu’il ne comprendrait pas. 

De fait, cet échange houleux traduit la synecdoque du projet : sorti en 1949, Le Troisième Homme a conscience et développe même dès son introduction l’urgence d’une Guerre Froide imminente, dont l’épicentre se situe du côté des pays germanophones. En choisissant Vienne comme terrain de jeu, Carol Reed explicite aussi la bassesse des occupants qui développent leurs vices hors de leurs frontières et profitent d’une situation internationale critique pour s’assumer grands défenseurs d’une cause. Enfin, et là est le plus important : la situation réaliste de l’époque ne se voit que par le point de vue des personnages favorisés. Ainsi, le peuple autrichien, s’il est bien visible dans les plans de coupe et les longues séquences de transition, est réduit à la portion congrue car considéré par les américains comme des être vaincus, apparemment dépourvus de culture et de connaissances. Il ne faut pas y voir un œil ironique sur le bas-peuple de la part de Reed, mais plutôt l’inverse : une évocation glaçante de cynisme d’occupants coupables des pires maux, capables du pire pour leurs propres économies, et occupés uniquement par leur petites broutilles qui ne concernent qu’eux. La conclusion du film va dans ce sens puisqu’elle pose une question subsidiaire sur les véritables objectifs de Holly Martins : veut-il résoudre le crime pour faire le bien, ou agir uniquement pour ses petits intérêts amicaux et monétaires ?

Le troisième homme

Le Troisième Homme de Carol Reed est donc un film à revoir, en raison de son étonnante palette formelle qui à la fois décontenance, amuse et sidère. Et cette hétérogénéité, pourtant génératrice d’un tout cohérent, donne à voir comme une fiction documentarisante une représentation de l’Autriche à l’aube de la Guerre Froide. Le malaise de l’enquête n’est pas tant dû au récit premier, il en devient ainsi plus épars, disséminé dans une atmosphère générale qui inspire la crainte et la défiance. La célèbre musique de Anton Karas, jouée au cithare, offre aussi à cette ambiance un parfum de distance et de retenue qui imprime l’esprit et amplifie la vanité des actants. Impossible désormais de ne pas y voir là une œuvre à tiroirs passionnante, qui a sans doute inspiré nombre de cinéastes dont les patchworks filmiques sont devenus les moteurs de leurs œuvres – Steven Sorderbergh et son Kafka en tête.


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Rétrospective spéciale Palmes d’Or


Le Troisième Homme est disponible en Blu-Ray chez StudioCanal.