LES ALGUES VERTES
À la suite de morts suspectes, Inès Léraud, jeune journaliste, décide de s’installer en Bretagne pour enquêter sur le phénomène des algues vertes. À travers ses rencontres, elle découvre la fabrique du silence qui entoure ce désastre écologique et social. Face aux pressions, parviendra-t-elle à faire triompher la vérité ?
CRITIQUE DU FILM
Habitué des films à caractère social tels que Fred (1997) ou Ma petite entreprise (1999), Pierre Jolivet est dans son élément avec Les algues vertes. Le phénomène de la prolifération de ces algues, sur les côtes bretonnes en particulier, fait régulièrement la une des médias depuis quelques années maintenant, que ce soit pour des questions esthétiques, tant celles-ci défigurent le littoral, ou surtout en raison de ses risques pour la santé. Il n’en a pas toujours été ainsi, et cette prise de conscience relativement récente est d’abord le fruit du travail acharné de lanceurs d’alerte et de journalistes pugnaces, comme Inès Léraud.
Adapté de la bande-dessiné Algues vertes, l’histoire interdite, d’Inès Léraud et Pierre Van Hove et parue en 2019, le film de Pierre Jolivet donne un nouvel éclairage sur les événements à l’origine de ce drame écologique et sanitaire, car le film comme la bande-dessinée, sont malheureusement tous deux basés sur des faits tristement réels. Mais le réalisateur français choisit de raconter cette histoire du point de vue de la journaliste qui a fait éclater le scandale, là où son personnage était absent du récit dans la bande-dessinée. Ce qui intéresse Jolivet, c’est de montrer comment le courage et la révolte d’une personne ont permis de révéler l’omerta qui entourait ce problème écologique.
Tout commence lorsque la jeune journaliste, spécialisée dans les questions environnementales, de santé publique et dans l’industrie agroalimentaire, s’installe en Bretagne pour réaliser des chroniques sur la région pour les antennes radio de France Culture. Rapidement, celle-ci prend conscience de la gravité de la situation, alertée par le décès d’un ouvrier puis d’un joggeur à proximité de ces algues vertes. Au travers de ses recherches, elle découvre que ces algues vertes prolifèrent en grande partie à cause des rejets de nitrate dus à l’élevage intensif, nitrate qui se trouve en quantité importante dans les engrais ainsi que dans les lisiers animaux, et que la décomposition de ces algues sur les côtes libèrent un gaz potentiellement mortel. Mais elle prend aussi très vite conscience de la sensibilité du sujet dans une région où l’agriculture représente un secteur majeur de la vie économique.
“On doit des égards aux vivants ; on ne doit aux morts que la vérité.”
Si le sujet des algues vertes a déjà été plusieurs fois traité ces dernières années, que ce soit dans la presse ou dans des émissions d’enquêtes, le film, au contraire du documentaire, permet de raconter l’histoire au présent et ainsi donner corps aux mécanismes en action ainsi qu’aux émotions qui en résultent. Les algues vertes montrent ainsi parfaitement comment la pression s’exerce sur ceux qui cherchent à briser le silence et à révéler cette vérité que tout le monde s’évertue à cacher. Parfois didactique, le film révèle comment les lobbies de l’agriculture, à commencer par le plus puissant d’entre eux, la FNSEA, ont continuellement œuvré depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour développer l’agriculture intensive, sans tenir compte des conséquences dramatiques sur l’écologie. Avec la complicité de la classe politique, ils ont favorisé les grosses exploitations en dépit des petits agriculteurs écrasés par un rendement impossible à atteindre et des prix trop bas pour subsister dignement.
En cela, le film de Pierre Jolivet rappelle fortement Dark Waters de Todd Haynes, sorti en 2020. Également inspiré de faits réels et d’un scandale écologique, ce dernier montrait comment le groupe industriel DuPont avait, en toute connaissance de cause, empoisonné les campagnes de l’Est des États-Unis et fait tout son possible pour enterrer la vérité et réduire au silence tous ceux qui cherchaient à révéler ce scandale. La filiation entre les deux films est évidente, avec cette même manière d’aborder le sujet, centré autour d’un personnage à l’origine extérieur au problème, mais qui va se révolter pour faire éclater la vérité, cette même figure du lanceur d’alerte, seul contre tous ou presque.
Porté par une Céline Salette remarquable de justesse comme à son habitude, Les algues vertes est un film important qui rappelle qu’il tient à chacun de ne pas fermer les yeux face à l’injustice, et qu’aussi difficile que ce soit, il est malgré tout possible de tenir tête à ceux qui ne jurent que par le profit, au prix de notre environnement communs ou de vies humaines. Si le sujet reste sensible dans une région encore marquée par ce scandale toujours d’actualité (en témoigne les difficultés rencontrées par la production pour obtenir certaines autorisations de tournage), espérons que ce film permettra de mettre encore davantage en lumière cette problématique des algues vertes et que les pouvoirs publics agiront enfin en conséquences. Evidemment, rien n’est jamais simple dans ce genre d’affaires dont les enjeux se gèrent au niveau européen, et dont les répercussions sur l’économie locale et nationale sont immenses. Mais nous le devons, tant à ces superbes paysages tels que ceux de la côte bretonne, qu’à la mémoire des victimes ainsi qu’à leurs familles.
Bande-annonce
12 juillet 2023 – De Pierre Jolivet, avec Céline Sallette, Nina Meurisse, Julie Ferrier