LES CONTES DE KOKKOLA, UNE TRILOGIE FINLANDAISE
À Kokkola, charmante petite ville finlandaise non loin du cercle arctique, ce ne sont pas les déjantés qui manquent ! Comme Romu-Mattila, un marginal qui décide de partir s’installer en Suède avec son chien, des trafiquants d’alcool accompagnés d’un cochon ou encore une gardienne de phare qui rêve de se lancer dans une grande aventure spatiale.
Critique du film
Les Contes de Kokkola regroupe trois films courts réalisés par Juho Kuosmanen entre 2011 et 2023, trois films muets en noir et blanc, vécus et voulus par le réalisateur comme des respirations entre deux projets de long métrage. Tournés dans une économie légère et sans pression, ils cherchent à retrouver l’essence des premiers temps du cinéma, naïve et burlesque.
Il y a désormais deux célébrités originaires de la petite ville de Kokkola : Olli Mäki, le premier boxeur finlandais à convoiter une ceinture de champion du monde dans les années 60, et Juho Kuosmanen le cinéaste qui lui rendit hommage dans son surprenant premier long métrage, à découvrir de toute urgence. Les deux hommes ont en commun un certain goût de la liberté et du beau geste. Ainsi après le succès surprise de Compartiment n°6, Grand Prix au Festival de Cannes 2021, Kuosmanen est retourné chez lui tourner Une planète fort lointaine, le troisième conte du programme, hommage direct à Mélies, où le génie de la bricole vient répondre aux rêves les plus fous.
On notera que c’est la seconde fois cette année que le cinéma représente une tentative de capturer la lumière. Après Luigi Comencini dans Prima la vita, qui offrait à sa fille Francesca (réalisatrice du film-hommage à son père), une boule magique, c’est ici une gardienne de phare qui s’empare de la sphère pour l’emporter dans l’espace vers un avenir meilleur. Car c’est aussi l’évocation de la finitude de notre planète que le film, dans toute son extravagance, évoque sérieusement. C’est assez exemplaire du cinéma de Kuosmanen qui semble inscrire la plus profonde sincérité à équidistance du sérieux et de la bêtise.
L’image parlante
Les films se situent aussi résolument entre artificialité et authenticité. Ce sont les corps vrais des acteurs non-professionnels qui instillent une valeur documentaire à des images par ailleurs volontairement marquées par le sceau de la fabrication, jusque dans les imperfections de la pellicule et l’ensemble des sons reproduits par bruitage (c’est le moment de digresser en conseillant le formidable court-métrage Hacked Circuit de Deborah Stratman, qui élève au carré l’angoissante dérive paranoïaque vécue par le regretté Gene Hackman dans Conversation secrète de Francis Ford Coppola).
Des corps atypiques, burlesques à leur manière comme on peut en voir chez Kaurismäki le grand frère finlandais dont on aperçoit une affiche de La Fille aux allumettes. Du réalisateur des Feuilles mortes, on retrouve également le goût de la musique (essentielle dans chacun des courts ici présentés, qu’elle donne le ton, marque l’humeur ou imprime le rythme) et des rencontres de hasard. Chassé de sa maison, le protagoniste du premier conte, Mattila, le vagabond et la jolie femme, se retrouve sur les routes avec sa chienne Elsa. C’est dans un bar sans joie où on organise spontanément une cagnotte en sa faveur, qu’il recueille quelques piécettes et une alliance. C’est le bonheur du cinéma muet que d’être soumis à la loi de l’image parlante, moteur discret de la narration.
Le conte du milieu, Bouilleurs de cru clandestins est le remake de Salaviinanpolttajat (The Mooshiners), le premier film de fiction finlandais réalisé en 1907, mais disparu depuis si longtemps que Kuosmanen n’a pu le voir. Le film était une commande pour les célébrations du centenaire de l’indépendance du pays. Kuosmanen, à partir d’un synopsis, a imaginé sa propre version. C’est le segment le plus ouvertement burlesque du programme, suivant les péripéties d’un frère et d’une sœur qui touchent un héritage et s’improvisent bouilleurs de cru clandestins. On y croise déjà Jaana Paananen, la « femme de l’espace » d’Une planète fort lointaine, à l’expressivité naturelle. Le film se délecte de courses, chutes et gags visuels dans la grande tradition des géants du muet.
Une séance intemporelle et anachronique à s’offrir comme une récréation.
Bande-annonce
26 mars 2025 – De Juho Kuosmanen