les fantomes

LES FANTÔMES

Hamid est membre d’une organisation secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Sa quête le mène à Strasbourg sur la piste de son ancien bourreau.

Critique du film

Ainée des sections parallèles du Festival de Cannes, la Semaine de la Critique met en lumière depuis plus de soixante ans des cinéastes émergeants en proposant une sélection de premiers et seconds long-métrages. Pour ouvrir l’édition 2024, le comité a jeté son dévolu sur Les fantômes, première œuvre de fiction de son réalisateur, Jonathan Millet. Et l’on ne peut que s’enthousiasmer de cette place de choix donnée à une proposition de genre aussi forte, qui révèle un metteur en scène et scénariste précis et engagé, aussi attentif aux qualités formelles de sa réalisation qu’au bon traitement des problématiques soulevées par son récit.

Inspiré de faits réels, Les fantômes suit le parcours d’Hamid, exilé Syrien ayant fui le régime de Bachar el-Assad. Installé Strasbourg où il demande l’asile, le jeune homme se lance en secret à la recherche de l’un de ses compatriotes pour le compte d’un mystérieux groupe composé de syriens dont il est membre. Cette traque va progressivement l’obliger à affronter les démons et traumatismes de son passé.

Représenter la figure du ‘’migrant’’ au sein du cinéma français est plus que jamais une opération délicate. Ces dernières années, peu de films se sont démarqués sans tomber dans les écueils évidents du misérabilisme ou d’un regard occidental involontairement condescendant. Sur ce plan, Jonathan Millet s’en tire à merveille et parvient à éviter tous les pièges, trouvant un équilibre parfait entre le fond et la forme. Son approche ultra documentée de la situation d’un réfugié de guerre permet au spectateur d’appréhender immédiatement et sans détour des problématiques sociales on ne peut plus actuelles. Pour autant, le réalisateur n’aborde jamais son sujet avec une démarche naturaliste à la Dardenne. C’est au contraire dans sa recherche stylistique que le film puise sa plus grande force.


Entre filatures et changements d’identité du personnage principal, Les fantômes puise dans les codes les plus ludiques du cinéma d’espionnage pour construire sa tension dramatique. Obsédé par sa quête de vengeance, Hamid observe sa cible et se rapproche d’elle petit à petit afin de déterminer s’il s’agit oui ou non de son ancien tortionnaire. N’ayant jamais vu le visage de son bourreau, le jeune homme doit s’en remettre à d’autres sens pour identifier le suspect. Le film se mue alors en thriller mental, perdu dans la mémoire sensorielle de son héros pour venir exorciser les traumas du passé.

En collant son héros silencieux de la première à la dernière minute, le film laisse volontairement le spectateur dans un état de frustration permanente. Les desseins d’Hamid ne sont pas explicités avant plusieurs minutes, tout autant que la nature de la cellule secrète à laquelle il appartient. De même, les techniques d’espionnage utilisées par le personnage se veulent les plus réalistes possibles. Il n’est donc pas rare de ne pas bien saisir tous les éléments saisis sur le vif par Hamid (photos floues, bribes de conversations…) au cours de son enquête. L’immersion n’en est que plus forte, renforcée par une remarquable montée en tension qui culmine lors d’une séquence de repas absolument irrespirable.

Sous couvert d’un thriller haletant et implacable, Les fantômes explore avec brio la question de l’horreur de la guerre et de la torture, sans jamais montrer cette dernière. Porté par l’interprétation hypnotique d’Adam Bessa, le film se présente comme une longue et fascinante plongée au plus près des tumultes intérieurs d’un héros traumatisé qui a tout perdu, tout en rejouant efficacement les motifs du film de vengeance. Un coup d’essai impressionnant qui impose d’entrée de jeu Jonathan Millet comme un réalisateur sur lequel il va falloir compter.


3 juillet 2024 – De Jonathan Millet, avec Adam Bessa, Tawfeek Barham et Julia Franz Richter.


Cannes 2024 – Semaine de la Critique




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