LES FEMMES AU BALCON
Marseille, l’été, en pleine canicule. Trois femmes, de leur balcon, observent leur mystérieux voisin, objet de tous les fantasmes. Elles se retrouvent coincées dans une affaire terrifiante et délirante avec comme seule quête, leur liberté.
Critique du film
Présenté en séance de minuit lors du dernier Festival de Cannes, Les Femmes au balcon marque la deuxième réalisation de Noémie Merlant, après le poétique Mi iubita mon amour. Né d’une expérience personnelle de la réalisatrice, ce nouveau film, à la croisée des genres, met en avant un casting féminin puissant, et percute, par son engagement fort et par sa mise en scène déroute et novatrice.
Dès les premières minutes, Noémie Merlant impose le décor brûlant de Marseille sous 46 degrés. La caméra glisse de balcon en balcon, capturant des fragments de vies, jusqu’à une scène percutante : une femme assassine son mari violent. Ce moment brutal, teinté de soulagement, annonce un film où chaque geste est porteur de sens. Mais qui sont ces « femmes » du titre ? On rencontre Nicole (Sandra Codreanu), une autrice romantique, Ruby (Souheila Yacoub), une cam-girl affirmée, et Élise (Noémie Merlant), une actrice épuisée par un tournage, déguisée en Marilyn Monroe. Ensemble, elles forment un trio improbable, un peu à la manière des héroïnes d’Almodóvar : vives, colorées, et ancrées dans un univers stylisé.
Avec leur chien, affectueusement nommé « Brad Pitt », elles partagent leur quotidien fait de rires, de cuisine, et de soutien mutuel. Mais c’est l’apparition de leur voisin, Lucas Bravo (qui renverse ici son image lisse d’Emily in Paris), qui intrigue. Il devient l’objet de leurs fantasmes, un mystère que ces femmes observent de loin. Quand il les invite enfin dans son appartement, il se présente comme un photographe spécialisé dans le nu cherchant à capturer « le vrai chez les femmes”. Cette rencontre, teintée d’ironie, tourne en dérision le regard masculin, particulièrement dans le cinéma. À travers l’humour subtil, Merlant semble critiquer les justifications fréquentes des réalisateurs concernant la nudité féminine à l’écran, qui semble souvent plus exploitative qu’artistique.
RELECTURE DE LA VIOLENCE
Noémie Merlant maîtrise avec brio l’humour absurde et ironique, qu’elle utilise ici pour souligner l’horreur bien réelle des violences sexuelles. Dans Les Femmes au balcon, elle construit un univers visuel flamboyant et rythmé, rappelant l’énergie des comics et des dessins animés. Ce choix esthétique, avec un jeu volontairement surjoué et burlesque, n’est jamais gratuit : il sert à exposer la brutalité des réalités que subissent les femmes. La douleur féminine, ici, n’est jamais minimisée, mais exposée sous un angle qui dérange autant qu’il captive.
Merlant crée un « rape and revenge » movie, où les femmes s’approprient la violence qui leur est infligée pour la retourner contre leurs agresseurs. Le film bascule dans une atmosphère horrifique et gore, avec des scènes sanglantes mais conservant toujours une ambition comique, qui évoquent les codes des slashers. Là où beaucoup de films au « male gaze » traitent de la violence sur les femmes en la fétichisant, Merlant inverse les perspectives. Ici, la nudité n’est jamais gratuite, mais porteuse de sens, tandis que les scènes de terreur les plus marquantes sont celles qui capturent les violences banales du quotidien : du viol conjugal à l’inconfort insidieux d’un rendez-vous gynécologique. Noémie Merlant ne cède jamais à la facilité de l’horreur pure et simple, préférant montrer l’angoisse là où on ne l’attend pas, dans ces moments de la vie quotidienne où la violence est souvent invisibilisée.
La dernière moitié du film nous transporte dans un autre univers, rappelant les films fantastiques asiatiques, invoquant la figure du fantôme, qui permet de mettre en avant le déni dont font preuve de nombreux hommes face aux violences exercées sur les femmes et sur leur culpabilité. Ce mélange des genres permet à Merlant d’aborder les violences patriarcales d’une manière nouvelle, refusant de tomber dans les stéréotypes visuels qui érotisent la souffrance féminine. Au lieu de cela, elle réécrit ces scènes avec une force politique indéniable, laissant ses personnages exister pleinement dans leur complexité.
LA SORORITÉ COMME MESSAGE DE LIBERTÉ
Les Femmes au balcon est avant tout un film puissant sur l’amitié féminine et la force de la sororité. Noémie Merlant ne cède pas à la facilité d’ une approche mélodramatique des violences sexuelles, mais choisit plutôt de célébrer la résilience et la solidarité entre femmes de façon lumineuse et libératrice. Dès le début, Elise le verbalise : “J’ai remarqué qu’on peut être nous-mêmes qu’entre nous.” Cette phrase résonne comme un fil conducteur tout au long du film, incarnant l’idée que le soutien mutuel permet à ces femmes de s’épanouir dans un monde patriarcal hostile.
Merlant met en scène un trio joyeux et soudé, loin des clichés habituels. La sensualité émerge de leurs échanges, de leurs gestes simples, des compliments qu’elles s’offrent, et de la sincérité de leurs interactions. Leur relation n’est pas définie par les tragédies qu’elles traversent, mais par la manière dont elles s’aident à se relever, sans jugement, et avec un profond respect pour leurs différences. Un récit intime de l’amitié féminine comme il est encore trop peu représenté à l’écran. À aucun moment le film s’excuse d’exister et c’est aussi pour ça, qu’on en sort, le sourire aux lèvres, avec cette impression d’avoir vécu une expérience plus qu’un simple visionnage. Et qu’est-ce que ça fait du bien !
Bande-annonce
11 décembre 2024 – De Noémie Merlant, avec Souheila Yacoub, Sanda Codreanu, Noémie Merlant