LES FILLES DU NIL
Dans un village du sud de l’Égypte, un groupe de jeunes filles coptes se rebelle en formant une troupe de théâtre de rue. Rêvant de devenir comédiennes, danseuses et chanteuses, Les Filles du Nil suit le voyage de ces jeunes femmes en quête de liberté.
Critique du film
C’est en 2017 que Nada Riyadh et Ayman El Amir rencontrent les jeunes femmes qui vont devenir les protagonistes de leur film documentaire Les filles du Nil, dont le tournage s’étalera sur quatre ans. Au sud de l’Egypte, dans le village d’El Barsha, le duo de cinéastes rencontre, en lien avec plusieurs associations culturelles féministes, une troupe de comédiennes. Ces dernières prennent conscience que le documentaire peut devenir un moyen d’expression supplémentaire et leur proposent aux documentaristes de les suivre dans leur quotidien, leur ouvrir leurs portes et se confient sur leur vécu. Dans un pays très conservateur, où elles subissent des remarques sexistes sur leur apparence physique et des commentaires visant à les réduire à leur rôle de mère au foyer soumise, elles voient là une nouvelle opportunité de faire changer les mentalités. Car Majda, Haidy, Monica et leurs amies ne veulent pas de cette vie. Ensemble, elles ont choisi l’art (le théâtre, la danse) pour imposer leur voix et leur soif de liberté.
La grande force du film est de voir ce lien collectif puissant s’exercer à l’écran. Réunies par une même volonté, elles allient leurs forces pour clamer ce qu’elles ressentent, en puisant dans leur propre histoire. Les filles du Nil nous fait découvrir leur quotidien, leur parole libre en non-mixité et leurs interactions avec ces hommes qui voudraient les contraindre, jusqu’à les qualifier d’indécentes parce qu’elles osent se produire en public. Leur pratique apparait alors autant comme un geste de résistance que comme un moyen de survivre, sans se soumettre.
Diviser pour dominer
Mais c’est aussi lors de moments en apparence anodins qu’on ressent à quel point le patriarcat cherche encore à contrôler les femmes et les maintenir dans une posture de dominées. Il suffit d’observer comment un frère tente de conserver la télécommande, comme si le choix du programme lui revenait, ou comment un fiancé, derrière ses belles déclarations sentimentales, reproche à sa future épouse de vouloir continuer de chanter et, peut-être, de gagner sa vie par ce biais. Parce que le sexisme s’insinue aussi derrière de nobles intentions, comme des mots doux, ou à travers une plaisanterie. Parce que la violence du patriarcat ne s’exerce pas seulement par les coups et l’intimidation. Parce que tout semble fait, consciemment ou non, pour entraver leur solidarité et empêcher l’émancipation de ces jeunes femmes, jusque dans la contrainte matérielle.
L’autre réussite du documentaire est de ne pas tomber dans une caricature qui placerait systématiquement l’homme dans une posture de contrôle. La séquence où le père d’Haidy tente de la convaincre de ne pas quitter la troupe et de ne pas s’enfermer dans un mariage qui rimerait avec vie au foyer vient illustrer le changement qui commence à s’opérer chez certains hommes. Au sein de ce petit village, sorte de microcosme de la société égyptienne, Les filles du Nil traduit par ses images tous ces vents contraires, ceux propices au changement et ceux qui s’opposent encore, par la force ou la manipulation, à l’autonomie et aux libertés des femmes en Egypte.
Bande-annonce
5 mars 2025 – Documentaire de Ayman El Amir et Nada Riyadh