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LES HERBES FOLLES

Marguerite se fait dérober son sac à main à la sortie d’un magasin de chaussures. Le voleur se débarrasse rapidement de son contenu et c’est Georges qui trouve le portefeuille dans un parking. Cet homme à l’imagination débordante croit alors que Marguerite n’a pas croisé son chemin par hasard. Il commence à lui écrire des lettres…

ACCROCHER OU DÉCROCHER ?

Situé à la fin de la riche carrière d’Alain Resnais (c’est son antépénultième film), Les Herbes folles (2008) est selon l’habitude du réalisateur l’adaptation d’une œuvre littéraire, en l’occurrence celle de Christian Gailly, L’Incident. C’est un film léger auquel seule la conclusion apporte une couleur plus sombre. Si on est loin des chefs-d’œuvre formalistes de ses débuts (Hiroshima mon amour, L’Année dernière à Marienbad), Resnais poursuit ici son exploration de l’âme humaine sur un mode en apparence mineur, voir anecdotique, tant l’intrigue est futile.

Un homme au passé trouble (André Dussollier) s’accroche sans raison à une femme (Sabine Azéma) dans la vie de laquelle il cherche à s’immiscer comme une herbe folle alors que seul le hasard a fait se croiser leur chemin. Quand elle l’éconduit, il va jusqu’à crever les pneus de sa voiture. Un peu plus tard, quand c’est elle qui vient vers lui et lui propose d’aller boire un verre, il accepte mais finit par la laisser en plan, sans plus d’explication.

Une série de quiproquos à l’image d’un film dont il ne faut pas chercher d’explication rationnelle car il ne s’embarrasse pas d’une quelconque logique, si ce n’est celle du hasard. Avec ce film dont il n’est pas l’auteur du scénario, mais dans lequel on reconnaît son goût pour le refus des conventions, Resnais fait le choix conscient de s’aliéner ses spectateurs en refusant toute construction narrative. Il enchaîne au contraire les scènes incongrues, comme quand Georges embrasse Josépha (la collègue de travail de Marguerite), ou quand cette dernière ressent soudain le désir d’aller dormir dans son avion. Jusqu’à la fausse fin avec le baiser hollywoodien et le jingle de la Fox. Puis, l’accident sans explosion causé par une braguette ouverte (sic). Après un travelling sur un cimetière, on assiste médusé à une fin surréaliste à souhait, digne de Luis Buñuel période Le Fantôme de la liberté.

AMUSANT OU VAIN ?

On peut considérer que ce refus de toute logique narrative dessert le propos. Il est en effet difficile d’accrocher à un récit dont le principe moteur est l’improbabilité, puisque le comportement des personnages est dès le départ complètement déraisonnable. Cela pourrait être amusant si les dialogues étaient drôles et les situations comiques, mais cela n’est pas le cas. C’est comme si Resnais hésitait entre deux genres : la fantaisie pure ou la comédie dramatique ancrée dans le réel. Et le film donne l’impression qu’il ne choisit pas. Marguerite étant dentiste mais aussi aviatrice, disons que Resnais n’arrive pas à faire décoller son intrigue, dans la mesure où cela a jamais été son intention. Le propos du film reste flou, et sa forme n’arrange rien. L’image est laide, les effets spéciaux trop voyants, les différentes voix off encombrantes, le jeu des comédiens appuyé, et la musique signée Mark Snow (deuxième collaboration avec le compositeur d’X-Files après Cœurs en 2006 et avant ses deux et derniers films suivants) ne crée aucune émotion et n’impose aucun thème.

Les herbes folles

Pourtant, quand Resnais lui-même parle du roman de Gailly, on peut comprendre ce qui l’a séduit : « J’y ai senti un côté syncopé, comme improvisé, un art de la variation sur des « standards », au sens musical du terme. J’ai aussi été marqué par l’entêtement de Georges Palet et Marguerite Muir, les protagonistes, qui sont incapables de résister à l’envie d’accomplir des actions irrationnelles, qui déploient une vitalité incroyable dans ce que l’on peut considérer comme une course à l’erreur. L’Incident parle du « désir de désir » (la formule est de Livi), ce désir qui naît chez Georges à partir de rien, avant même qu’il ait rencontré Marguerite ou qu’il lui ait parlé au téléphone, puis qui s’alimente de lui-même. »

Beau programme sur le papier, mais force est de constater qu’il ne prend pas vie à l’écran. Vu la ferveur critique qui a accompagné la sortie du film à l’époque, ainsi que le « Prix exceptionnel » décerné au cinéaste au Festival de Cannes 2009 (certes pour toute sa carrière), ce jugement ne fera certainement pas l’unanimité, mais quand on aime un auteur, il faut aussi être capable de discernement et ne pas adouber tout ce qu’il crée. La critique perd de son sens quand elle fait preuve d’un respect aveugle face à un créateur dont l’œuvre dans le cas de Resnais est certes incontournable, mais peut aussi parfois perdre de son inspiration.

Comme le hasard qui dicte dans Les Herbes folles sa loi, chacun selon son humeur ou ses prédispositions trouvera le film intriguant ou ressentira une énorme frustration. Si l’œuvre est surprenante, elle est loin d’être mémorable. Et la liberté dont Resnais fait preuve (et qui a toujours été sa marque de fabrique) mène ici à une impasse, et à une œuvre presque indigne de l’auteur de Mon oncle d’Amérique (1980).


Film disponible sur Mubi