LES JEUNES LOUPS
Issu d’une famille modeste, Alain, dont la beauté n’égale que l’ambition, n’hésite pas à monnayer ses charmes auprès de bourgeois et aristocrates, femmes et hommes. Il fait en parallèle la rencontre de Sylvie, jeune femme vive et libre, dont il tombe amoureux. Leur chemin croise celui de Chris, hippie issu de la haute société, pleinement engagé dans l’élan de la révolte naissante de mai 68… et irrésistiblement attiré par Sylvie. Leur trio va vite se confronter aux ambiguïtés et aux dangers de cette vie trop moderne pour l’époque.
Critique du film
Sorti en 1968, dix ans après Les Tricheurs qui nous présentait un groupe de jeunes gens oisifs, désœuvrés et cyniques qui rejetaient certaines des valeurs de leurs aînés, jugées trop bourgeoises, Les Jeunes loups de Marcel Carné en reprend certains aspects et s’en détache par d’autres côtés. Mais, alors que Les Tricheurs rencontra un grand succès public – près de cinq millions d’entrée en France – et critique, Les Jeunes loups connut un destin bien moins clément.
Massacré par la censure de l’époque pour cause d’immoralité et d’insanité – le film bénéficiant d’une avance sur recettes, il fallait lui soumettre le scénario au préalable – Les Jeunes loups vit son scénario remanié et certaines de ses scènes coupées. D’où la décision de Marcel Carné de ne même pas assister à la première du film, un fait sans précédent dans sa carrière commencée dans les années 1930. Sa sortie en salle en avril 1968, un mois avant les fameux événements qui allaient ébranler la France, finit de retirer à ce film toutes chances de conquérir un véritable succès public, qui tomba dans une forme d’oubli, assez rarement projeté. La version qui nous est offerte en 2022, dans une restauration qui met en valeur l’Eastmancolor dans lequel le film a été tourné, propose une mouture non censurée qui surprendra par l’audace et la modernité dont fit preuve Marcel Carné à l’époque.
Dès le début, on entre dans le vif du sujet. Alain remarque Sylvie lors d’un échange verbal un peu vif et piquant avec des représentants de l’ancienne génération. Très vite, il lui propose de la ramener à Paris. Ils entament une liaison à priori purement charnelle et dénuée de toute forme de sentimentalisme. Mais il faut de l’argent. Alain n’hésite pas à jouer de ses charmes, à manipuler pour s’en sortir ou vivre aux crochets des autres. Sylvie, quant à elle, fait la rencontre de Chris, un hippie issu d’un milieu bourgeois mais dont la révolte s’avère peut-être plus sincère que celle d’Alain. En effet, ce dernier, malgré les critiques qu’il formule à l’encontre de la génération précédente, n’est à priori pas plus idéaliste, pas moins formaté que ceux qu’il juge sévèrement. Chris tombe amoureux de Sylvie qui, elle ne peut totalement se détacher d’Alain.
Comme dans Les Tricheurs, on nie avoir des sentiments pour paraître « dans le coup », pour être « in » et ne pas s’afficher comme une personne ringarde. On rejette violemment les habitudes, les valeurs qui semblent dépassées. Ou on fait mine de le faire. Les temps changent mais la nature humaine est toujours là, avec ses dénis, ses mensonges livrés aux autres ou à soi-même. Alain se prend pour un rebelle, mais s’avère d’une affligeante banalité quand il cherche à profiter des autres, quand il calcule et manœuvre. Sylvie affiche parfois un détachement de circonstance, mais reste une personne sincère, profonde et spontanée. Elle apprécie Chris pour ce qu’il est et non pour son argent. Et Chris nous apparaît aussi comme quelqu’un de touchant, de vrai même si les jeux semblent faussés, à cause de ses origines privilégiées.
On a beaucoup reproché à Marcel Carné de ne pas avoir réalisé avec Les Jeunes loups, un chef d’œuvre de la trempe de ceux qu’il avait faits avec Jacques Prévert – Drôle de drame ou Le Jour se lève, par exemple – ou avec Jean Aurenche et Henri Jeanson – Hôtel du Nord – mais ici, comme avec Les Tricheurs, il s‘agit du regard d’un homme plus âgé sur une nouvelle génération qu’il ne juge pas, qu’il ne méprise jamais mais qu’il observe et cherche à comprendre, avec une certaine forme de bienveillance.
Le jazz constituait dans Les Tricheurs l’essentiel de la bande son. Ici, il s’agit d’une pop qui colle parfaitement à l’ambiance du film et aux couleurs mises en valeur par la photographie de Jacques Robin. Haydée Politoff, dans le rôle de Sylvie faisait preuve d’un jeu naturel, d’une grande fraicheur. Autour d’elle, on trouve Yves Beneyton – Chris, le hippie – et Christian Hay – Alain – mais également Maurice Garrel et Elizabeth Teissier. Il s’agit d’un des premiers films français à aborder l’amour libre, la bisexuaité, le rejet par les beatniks du mode de vie bourgeois. On pourra trouver le regard porté sur l’ancienne génération un peu caricaturale ou trouver des aspects du film un peu vieillis, mais Les Jeunes loups demeure une œuvre attachante, offrant de très beaux moments comme cette scène aquatique dans une piscine ou ces confrontations verbales entre ces « jeunes loups », sans doute moins féroces qu’ils ne voudraient le paraître.