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LES LINCEULS

Karsh, 50 ans, est un homme d’affaires renommé. Inconsolable depuis le décès de son épouse, il invente un système révolutionnaire et controversé, GraveTech, qui permet aux vivants de se connecter à leurs chers disparus dans leurs linceuls. Une nuit, plusieurs tombes, dont celle de sa femme, sont vandalisées. Karsh se met en quête des coupables.

Critique du film

Dans Les Crimes du futur, David Cronenberg se faisait observateur distant de sa propre filmographie, s’interrogeant sur la manière d’appréhender sa création artistique plus de 50 ans après ses débuts derrière la caméra. Timidement reçu à Cannes en 2022, le film sonnait comme le point final – pour ne pas dire testamentaire – d’une carrière traversée par plusieurs périodes et mouvements. D’où la surprise de voir le cinéaste canadien revenir sur la croisette deux ans plus tard. Les linceuls semble pourtant nourri d’un besoin quasi vital de son auteur de reprendre du service, puisque de son propre aveu, ce projet est avant tout motivé par le deuil impossible de son épouse, Carolyn, survenu en 2017.

Dans un jeu de miroir troublant, Cronenberg imagine un personnage en total reflet de lui-même, allant jusqu’à donner ses traits physiques à son interprète, Vincent Cassel. Karsch est un homme littéralement rongé par le chagrin suite à la mort de sa femme Becca. Sa peine est si grande qu’elle provoque jusqu’au pourrissement de ses dents. Obsédé par cette disparition, il fonde GraveTech, une société de pompes funèbres 2.0 dans laquelle les vivants peuvent se connecter aux tombes et suivre en direct la décomposition du corps de leurs proches. Une nuit, plusieurs stèles du cimetière sont vandalisées, dont celle de Becca. Karsch se lance alors dans la quête obsessionnelle de trouver les responsables.

Entre le fantastique et le thriller d’espionnage sur fond de paranoïa, l’intrigue des Linceuls déconcerte. À l’image de son précédent long-métrage, Cronenberg fomente un récit vaporeux et très bavard qui tend à se perdre dans les délires mentaux de son personnage principal. Le mystère qui entoure la profanation des tombes nourrit de nombreuses théories chez les différents protagonistes. S’agit-il d’un acte militant pour contester une avancée technologique amorale ? Une vengeance personnelle ? Ou encore un complot politique international ? Plus Karsch avance dans son enquête, moins la réalité parait tangible. Dans ses investigations, l’homme plonge dans une spirale de questionnements qui semble ne jamais prendre fin, tout en donnant l’impression que le personnage tourne en rond continuellement. 

the shrouds

Finalement, peu importe l’identité des auteurs du crime. Trouver ces derniers ne ramènera pas la défunte à la vie. C’est là que le film trouve son idée la plus passionnante. Face à l’absence insupportable de Becca, Karsch ne trouve d’autre moyen pour survivre que de se raconter des histoires, parfois crédibles, parfois abracadabrantesques. Il en est de même pour le réalisateur de Videodrome qui joue ici la carte d’un faux suspense et n’en finit plus de prendre des chemins de traverse, comme pour éviter de se pencher sur son propre travail de deuil.

Cronenberg est animé par une envie de raconter la douleur de ceux qui restent. Ceux qui, parfois, mettent tout en œuvre pour faire revivre l’être aimé. Entre les souvenirs fantasmagoriques qu’il a de sa femme, sa relation ambigüe avec la sœur de cette dernière et l’intelligence artificielle qui lui sert d’assistante (trois figures interprétées par Diane Kruger), Karsch ne trouve pourtant aucun remède à sa souffrance affective et reste condamné à chercher des réponses dans la technologie ou le sexe (on reste chez Cronenberg). Des réponses qui n’existent sans doute pas.

Il est évident que l’opacité du récit et l’esthétique glaciale de l’ensemble – renforcée par la sublime bande originale du fidèle Howard Shore – rebuteront la plupart des spectateurs. Les linceuls est un autoportrait métaphorique d’une austérité telle qu’il reste impossible à appréhender autrement qu’en regard de sa conception et de l’histoire personnelle de son auteur. Néanmoins, le film propose des pistes de réflexion passionnantes sur notre rapport à la mort de l’autre. Et tant pis pour l’émotion à laquelle on rêvait de voir s’essayer le cinéaste.


25 septembre 2024 – De David Cronenberg, avec Vincent CasselDiane KrugerGuy Pearce


Cannes 2024 – Compétition




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