LES NUITS BLANCHES
Pleurant un soir sur un pont où elle n’attend vraisemblablement personne, une jeune femme se fait accoster par un individu presque aussitôt intrigué, puis séduit. Dès lors, leurs vies sont intimement liées, jusqu’à ce que la jeune femme réalise qu’elle attend toujours quelqu’un d’autre, qui tarde à se montrer.
Critique du film
L’écrivain Dostoïevski inspira ce film avec son roman du même nom : Les Nuits Blanches. « C’était une nuit merveilleuse, une de ces nuits comme il n’en peut exister que quand nous sommes jeunes », écrit-il un siècle avant que le cinéaste italien ne décide d’en faire une mise en lumière et en images. Les raisons en sont sans doute nombreuses, mais l’effet qui subsiste et nous enveloppe presque instantanément au sortir de son visionnement, c’est la poésie grandiose que dégage cette non-histoire, cette errance fantasque des âmes aux attirances plurielles.
Visconti a décidé de jouer avec les codes visuels de l’époque, tendant vers une image moderne et abstraite entrant en contradiction avec les idéaux néo-réalistes contemporains, où les comédiens évoluent dans un décor unique, entièrement façonné en studio et de manière assumée pour un effet de huis clos plutôt surprenant. Le défi splendide que représente ce choix de mise en scène dépend en grande partie du travail accompli par Mario Chiari, chef décorateur assisté de Mario Garbuglia, futur décorateur du fameux Barbarella réalisé par Roger Vadim en 1968.
Jamais le monde n’a autant eu besoin de poésie, répètent inlassablement les hommes au fil des époques. Pour ainsi dire, Les Nuits Blanches est une histoire intemporelle destinée aux rêveurs ou du moins, à ceux qui n’ont pas accepté de cocher toutes les cases du règlement de l’âge de raison. A sept, dix-huit, trente-quatre, on en est toujours à se poser les mêmes questions, sous d’autres angles. Visconti prend ce chemin, s’éloignant en cela du roman initial qui s’intéresse à la sexualité plutôt qu’au romantisme, et aborde avec délicatesse le sentiment amoureux non pas au sens global du terme, mais en allant pêcher en chaque recoin tous les indices psychologiques qui justifient que celui ou celle qui attend est déjà amoureux-se, et se prédispose à tomber encore et encore, amoureux du monde entier.
C’est aussi l’histoire d’un homme, interprété par Marcello Mastroianni, aussi audacieux que sensible, croyant au coup de foudre inattendu, rêvant, aidé par cette atmosphère nocturne et onirique sublimée par une lumière bien maîtrisée et une utilisation réussie du brouillard do it yourself. Le rêve est la réponse à tout. C’est l’incertitude qui nous charme, tout devient merveilleux dans la brume, écrivait Oscar Wilde. Loin d’endormir le spectateur, Visconti garde les rênes, faisant entrer en scène Jean Marais dans l’un de ses plus beaux rôles quoique secondaire. En dandy mystérieux à la présence fantomatique, il participe à l’élaboration d’un sentiment de curiosité qui naît inévitablement, nous faisant croire à tout. Au travers de subtils jeux de regards finement répétés et de quelques délicieux dialogues, il vient semer le trouble et renverse ce qui s’apparentait à un début d’histoire d’amour à deux. Au-delà, il s’agit d’une histoire de tous les possibles, propre, justement, aux rêves.
Disponible sur la Cinetek