LES SORCIERES D’AKELARRE
Pays basque, 1609. Six jeunes femmes sont arrêtées et accusées d’avoir participé à une cérémonie diabolique, le Sabbat. Quoi qu’elles disent, quoi qu’elles fassent, elles seront considérées comme des sorcières. Il ne leur reste plus qu’à le devenir…
CRITIQUE DU FILM
La sorcellerie est un phénomène qui est étroitement lié dans la littérature et les sources historiques à l’Eglise chrétienne et son bras armé, la Très Sainte Inquisition. Le sujet est aujourd’hui un thème très courtisé, on retient le magnifique ouvrage de Mona Chollet (2018) et son sous-titre éloquent : « La puissance invaincue des femmes ». L’image de la sorcière hante l’historiographie contemporaine depuis Jules Michelet à la fin du XIXème siècle, mais ne prend en effet un caractère militant et féministe que depuis très peu d’années. Le projet de Pablo Agüero, Les sorcières d’Akelarre, en production depuis plus d’une décennie, profite quelque part d’un contexte plus favorable pour enfin voir le jour sur grand écran. Argentin, Agüero décide de traiter du sujet en Europe, loin de l’imagerie volubile véhiculée par Hollywood, et plus précisément au Pays basque, territoire enjambant deux Etats, la France et l’Espagne. Pour des raisons de financement, c’est en langue espagnole qu’est tourné le film, et c’est dans cette langue que s’exprime l’un des protagonistes principaux, le fameux juge de Lancre.
Le début du XVIIème siècle où commence le récit est en effet le terreau de ce que l’on a appelé une « chasse » à travers toute la Chrétienté, pour débusquer la marque du malin incarné sur le corps des femmes. Le petit village de pêcheurs d’Akelarre est très particulier, en cela que la moitié de l’année il n’est occupé presque que de femmes, les hommes étant partis en mer à bord de leurs bateaux. Cette population de femmes, puissantes et nombreuses, attire tout naturellement le regard d’une Eglise dont la tâche principale est l’encadrement de la population, et le contrôle des femmes par le biais de dogmes les désignant comme les proies les plus privilégiées du Diable. Le fameux livre Malleus maleficarum désignait les épreuves à faire traverser aux femmes soupçonnées de pactiser avec le mal et où chercher sa marque qu’il aurait déposée subtilement sur n’importe quel retranchement du corps. Le juge de Lancre, inquisiteur nommé pour trouver ses coupables, car il n’est pas question d’innocence ici, cherche ces stigmates, enfermant toutes les jeunes femmes désignées comme les plus probables contaminées.
Toute la première partie du film reprend donc une trame assez évidente, de l’arrivée du magistrat jusqu’à l’emprisonnement des jeunes femmes et les aveux qu’on cherche à leur soutirer par tous les moyens jugés nécessaires, fut-ce la torture. Agüero s’applique à montrer l’iniquité de ce traitement, il n’y a aucune issue possible, il faut avouer. Il souligne également une obsession chez de Lancre, le sabbat. Figure historique bien connue de ces « chasses aux sorcières », proche d’Henri IV et beau-frère de Montaigne, le juge est connu pour avoir défini l’importance et les codes de ces rites sataniques, où des femmes dansant autour d’un feu appliqueraient une liturgie inversée à ceux du christianisme pour invoquer leur seigneur Belzébuth. La fièvre qui l’habite est toute orientée vers ce sabbat, qu’il désire plus que tout voir exécuté devant ses yeux. La mise en scène est contaminée par ces humeurs profondes, et il s’opère un point de bascule fascinant où soudain tout s’accélère, et où le film prend une toute autre dimension.
Ana, très convaincante et sublime Amaia Aberasturi, semble décider consciemment que puisque tout est perdu, y compris leur vie, autant embrasser le délire du juge de Lancre et lui en donner pour son argent, jusqu’à le perdre dans un tourbillon vertigineux assez incroyable à regarder. De leur statut de victimes innocentes, ces femmes se muent en autre chose, prenant leur liberté dans un sabbat sublimé au delà même du fantasme de leur bourreau. Pablo Agüero avait prouvé dans Eva ne dort pas (2015) qu’il était un cinéaste qui aime à filmer au plus près des corps, dans le grain même de la peau d’un Denis Lavant comme fou. Il double l’essai ici en mettant en scène un grand moment de cinéma où la reconquête pour ces femmes passe par un lâcher prise étonnant. Le feu est l’élément premier, la danse est le second qui permet de créer un état d’envoutement qui emporte le juge dans la folie, un point de non retour qui le menaçait depuis son arrivée au village.
Les sorcières d’Akelarre est alors pris d’une fougue et d’un élan complètement révolutionnaire. Jugées sans possibilité de se défendre, ces femmes deviennent sorcières, s’appropriant ce qui avait été désigné comme un mal pour en faire une force, un pouvoir surhumain. Le feu utilisé pour brûler vives tant de femmes durant le XVIIème siècle, est ici leur propriété, il est un objet d’empouvoirement et une arme purificatrice aux mains de l’Eglise. Cette furie enthousiasmante permet à Pablo Agüero d’accoucher d’un grand film, sublime visuellement, où le reflet des flammes se projette sur les peaux de celles qui ont décidé de prendre en main ces corps qu’on leur reproche tant d’avoir. Ce glorieux sabbat ne saurait être oublié tellement il marque durablement les esprits longtemps après que les dernières notes du film soient retombées.
Bande-annonce
18 août 2021 – De Pablo Agüerro, avec Amaia Aberasturi, Alex Brendemühl et Garazi Urkola.