LIBERTAD
Espagne, l’été. Libertad fait irruption dans la vie de Nora, 15 ans et bouscule le calme habituel de ses vacances en famille. Ces deux jeunes filles que tout oppose nouent alors une amitié profonde qui marquera leur entrée dans l’adolescence.
Critique du film
Aperçue comme scénariste notamment pour Petra de Jaime Rosales, présenté à la Quinzaine des réalisateurs il y a trois ans, Clara Roquet présente son premier long-métrage seule aux commandes à la Semaine de la critique 2021. Libertad est le prénom d’une adolescente d’origine colombienne qui se retrouve à passer l’été chez la famille qui emploie sa mère biologique qu’elle connait à peine, obligée de la recueillir après la mort de la grand-mère qui l’a élevée. La jeune réalisatrice espagnole développe un film qui chasse sur les terres du roman d’apprentissage, au beau milieu du moment charnière où les jeunes personnes se cherchent et décident qui elles veulent devenir. Cette phase de rébellion passe par Libertad, qui cristallise non seulement cette fronde momentanée, mais aussi littéralement une liberté presque inconnue pour Nora, quinze ans et une envie dévorante de briser son image de jeune fille modèle.
Cet aspect est sans doute le plus évident, amenant avec lui un lot d’images déjà très connues, et on ne peut se lancer dans un tel classique sans affronter les critiques qui vont de pair. L’aînée dévergonde la plus jeune, qui voue une fascination proche du désir pour la première, et cet été tourne à l’initiation la plus déroutante, remplie de fêtes, sorties interdites et nouvelles expériences réprouvées par la génération des parents. Jusqu’ici, donc, rien de bien surprenant, et on pourrait presque s’ennuyer dans ce Libertad un peu trop convenu et déjà vu. Heureusement, les qualités du film ne s’arrêtent pas à une histoire d’été de découvertes entre deux jeunes filles. La satire sociale qui ourle chaque scène permet au récit de prendre une autre dimension et révèle bien d’autres intérêts que ceux déjà évoqués.
La famille de Nora est en vacances dans la maison de la grand-mère, âgée et atteinte de la maladie d’Alzheimer. Les trois enfants de celle-ci ont décidé de venir avec leur propre famille pour renouer des liens qui semblent distendus. Derrière ce joli tableau se cache beaucoup de fêlures, et notamment des personnes incapables de s’occuper d’un parent qui n’est plus tout à fait là, mais qui malgré tout réclame encore leur attention et leur amour. Libertad est dès lors le témoin des disparités dans l’édifice. On voudrait faire croire qu’il règne une osmose, une égalité entre chacun, mais en fait les strates sociales se rappellent bien vite. Il y a ceux qui servent, Libertad et sa mère, et les maîtres de maison qui se plaignent et font du bruit, dominant de bout en bout dans leurs pratiques sociales.
Dès lors, l’initiation de Nora par Libertad sonne comme une reconquête, presque un vengeance. Si tout est présenté en premier lieu comme une amitié fusionnelle qui fait franchir des paliers et grandir Nora, on se rend vite compte que Libertad utilise son monde pour obtenir ce qu’elle désire : retourner chez elle en Colombie. Les deux amies ne sont pas égales, ne l’ont jamais été et ne le seront jamais. Il est amusant à ce titre de constater que les garçons de l’histoire sont presque des silhouettes, fantasmées par Nora – notamment le jeune capitaine du bateau familial. Libertad les utilisent comme des pions sans aucun remord. Le rapport de force est donc très clairement inversé entre elles, symbole d’une lutte des classes féroce tapie dans l’ombre des sourires et des apparences.
Libertad est même cruel dans son dernier acte, les masques sont tombés, les jeux sont faits et on congédie les pauvres de l’histoire pour retourner à la vie bourgeoise qui ne s’est interrompue que le temps des vacances. Les parents adultères rentrent ensembles, on cache de nouveau les querelles sous un tapis de honte qui contamine les cœurs, venin qui a fait succomber les uns pour condamner à terme les autres. Clara Roquet, en bonne scénariste de formation, a donc caché au cœur de son histoire des niveaux de lecture multiples et une richesse inattendue qui permet à son film de dépasser les limites tout d’abord affichées. Un bien beau projet nourri au vitriole le plus chabrolien, celui qui se moque de ces bourgeois qui donnent des leçons à tous, en oubliant de se remettre en cause, jamais.
Bande-annonce
6 avril 2022 – De Clara Roquet, avec Maria Morera, Nicolle Garcia et Nora Navas.
Cannes 2021 – Semaine de la Critique