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LIGHT SLEEPER

John LeTour, la quarantaine, livreur de drogue, aimerait changer de métier. C’est alors qu’il rencontre son ex-fiancée, Marianne, dont il s’éprend à nouveau. Un soir, alors qu’il livre une dose à un riche client, il aperçoit Marianne complètement droguée et malade. Il part mais c’est pour entendre un cri et retrouver Marianne dix étages plus bas. Ecoeuré, LeTour raconte tout a un flic.

Critique du film

Neuvième long-métrage réalisé par Paul Schrader, Light Sleeper raconte l’histoire de John Le Tour (Willem Dafoe), un quarantenaire new-yorkais, employé par Ann (Susan Sarandon) comme livreur de drogue dans le quartier d’affaire. Lassé par son activité, il aimerait changer de métier. C’est alors qu’il croise Marianne (Dana Delany), son ancienne fiancée, dont il tombe de nouveau amoureux. Mais leur passé respectif de junky rend la jeune femme méfiante, effrayée à l’idée de replonger dans la drogue au contact de John.

Au début des années 90, Schrader à la quarantaine. En pleine « midlife crisis », il souhaite exprimer son questionnement existentiel dans un film. Lui vient alors la métaphore du dealer voulant se ranger mais ne sachant rien faire d’autre. Afin de retranscrire cet état d’esprit si particulier, le réalisateur a choisi de distinguer trois voix dans son personnage principal. Il y a d’abord celle de la narration, où John exprime ce qu’il est en voix-off, via l’écriture de son journal intime. Il y a ensuite la voix qu’il prend dans son travail de dealer,  plus empathique et plus humaine, où il exprime ce qu’il doit être. Enfin, la troisième et dernière voix est celle de la douleur et du manque, incarnée conjointement par l’image et par les différentes chansons composées spécialement par le film (à l’origine par Bob Dylan), et exprimant ce que le personnage souhaite devenir.

Là encore, tous les éléments visuels, sonores et dramaturgiques du film nous permettent de comprendre et de ressentir l’incomplétude existentielle du personnage joué par Willem Dafoe. Son métier donne lieu à des scènes de flânerie, entre deux clients lui rappelant le visage autodestructeur d’une humanité en pleine perdition. On pourrait même parler de film crépusculaire, dans la mesure où la plupart des interlocuteurs de John se caractérisent par leur incapacité à créer du lien avec autrui. C’est notamment le cas de Marianne, en constante fuite face à la « chute » qui lui est malheureusement promise.

À l’image de l’ange Damiel dans Les Ailes du Désir (1987), John est le spectateur impuissant de cette mort qui sommeille en chacune des personnes qu’il côtoie. Promeneur errant et solitaire, son mal-être l’empêche de dormir, le soumettant à une inadéquation systématique avec le temps présent. Lui aussi reflète la mort, comme le lui révèle une voyante, et c’est cette conscience de soi qui le pousse vers une quête de rédemption. Après avoir reflété la mort, il la donne, se soumettant enfin à la justice afin d’expier ses péchés. La fin de sa catabase est néanmoins porteuse d’espoir. Ann lui échange un sourire, et la mort semble quitter son regard. Sans doute réussira t-il à vivre sa vie, miracle inconcevable pour le personnage de Travis dans Taxi Driver (1976), lui aussi en proie aux insomnies.

Light Sleeper est un film d’une sensibilité bouleversante, qui met en scène l’un des plus beaux héros du cinéma de Schrader, démon mélancolique de ses ailes d’ange, à qui il offre une délivrance autre que la mort elle-même. À découvrir ou à redécouvrir absolument.


Dans la tête de Paul Schrader, du 8 janvier au 2 février 2020 au Forum des Images