LITTLE JOE
Alice, mère célibataire, est une phytogénéticienne chevronnée qui travaille pour une société spécialisée dans le développement de nouvelles espèces de plantes. Elle a conçu une fleur très particulière, rouge vermillon, remarquable tant pour sa beauté que pour son intérêt thérapeutique. En effet, si on la conserve à la bonne température, si on la nourrit correctement et si on lui parle régulièrement, la plante rend son propriétaire heureux. Alice va enfreindre le règlement intérieur de sa société en offrant une de ces fleurs à son fils adolescent, Joe. Ensemble, ils vont la baptiser » Little Joe « . Mais, à mesure que la plante grandit, Alice est saisie de doutes quant à sa création: peut-être que cette plante n’est finalement pas aussi inoffensive que ne le suggère son petit nom.
La critique du film
Certaines histoires traversent des décennies de cinéma pour réapparaître comme un terreau fertile pour l’imagination de nouveaux cinéastes. L’intrigue du Little Joe de l’autrichienne Jessica Hausner est en effet très familière. Elle nous rappelle de très près celle des Profanateurs de sépultures, qui a connu trois versions officielles sur grand écran, la plus célèbre étant celle du réalisateur américain Don Siegel en 1956.
Dans chaque incarnation de cette histoire, un élément extérieur situé dans le genre du fantastique menace de contaminer la population d’une ville et de remplacer ses habitants par des répliques, identiques, mais vouées à une cause extérieure qui menace l’humanité. Chez Siegel, il était question d’extra-terrestres, chez Jessica Hausner ce sont des plantes qui occupent la place de l’antagoniste aux êtres humains.
Alice a dédié sa vie à son métier de phytogénéticienne. Elle crée de toutes pièces des espèces de plantes répondant à des besoins marketing. Sa dernière création est une fleur qui par son parfum crée une sensation de bonheur chez les personnes qui y sont exposées. Mais celles-ci ne sont plus tout à fait elles-mêmes, démontrant un comportement dénué d’empathie, comme si seul l’intérêt de la plante, surnommée Little Joe, demeurait.
Le bonheur à tout prix
Cette version est intéressante en cela qu’elle distille la peur et l’ambiguïté avec beaucoup d’habilité, afin que le spectateur reste dans un état de doute permanent qui crée une atmosphère de malaise. Cet élément donne au film une tension très réussie qui permet de surmonter son rythme lent et quelque peu comprimé autour du personnage joué par Emily Beecham. De plus, la réalisatrice utilise très bien le concept lié à l’élargissement progressif du cercle de personnes contaminées par Little Joe. Bientôt la normalité, qui précédait l’arrivée de la plante, est d’être infecté par le pollen, Alice se retrouvant seule avec ses doutes, acculée par un groupe de proches et de collègues qu’elle ne reconnaît plus. Isolée, elle devient l’ennemi, la personne à « abattre », la marginalité a changé de camp.
Little Joe ne convainc néanmoins pas totalement, manquant de liberté dans sa mise en scène et se révélant peut-être trop frileux dans le déploiement de son second acte, qui aurait mérité plus de fulgurances et d’audace. Mais il n’en reste pas moins un exercice de style intéressant, qui analyse avec justesse la difficulté d’être différent dans une société où la loi de la majorité écrase du talon les différences affichées.