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LOULOUTE

Années 80, Normandie. Entre les vaches, le Club Do’ et les gros pulls en laine, Louloute rêve, tombe amoureuse et se dispute avec ses proches. Alors que la ferme familiale s’endette, sa vie va changer à jamais.

CRITIQUE DU FILM

Louloute permet d’entrevoir une forme d’ironie dans l’expression « au pays du lait et du miel », tant l’exploitation laitière et à fortiori la ruralité est désormais loin d’être synonyme d’abondance. Propice à la prise de conscience et à la désillusion, le film d’Hubert Viel s’inscrit dans ce pan du cinéma français qui se fait depuis longtemps l’écho des difficultés et des évolutions du travail agricole et des vies paysannes. 

Sorte de fil rouge du cinéma français, les conditions de vies des agriculteurs et fermiers y sont dépeintes sous presque toutes les coutures. De la documentation stricto sensu dans les années 1940 avec Farrebique de Georges Rouquier à des œuvres plus récentes comme les Profils paysans de Raymond Depardon, Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda ou Bovines d’Emmanuel Gras, en passant par le travail expérimental de Pierre Creton, par exemple dans Secteur 545, jusqu’à des œuvres de fictions très récentes, parmi lesquelles Petit Paysan d’Hubert Charuel, La Nuée de Just Philippot ou encore La Terre des hommes de Naël Marandin. L’héritage cinématographique français en la matière témoigne de sa richesse et de sa densité, abordant le monde rural sous une pluralité de genres, en l’utilisant tantôt comme sujet, tantôt comme toile de fond d’autres récits. Dans ce cinéma français rural et hétéroclite, Louloute se situe à l’orée de la mélancolie, de la nostalgie et de la candeur, tout en observant les difficultés économiques, sociales et politiques de la vie d’agriculteur. 

« J’étais comme dans du velours. Du velours avec plein de couleurs ».

Ces mots de Louise, dite « Louloute », adulte, pourraient parfaitement s’appliquer à l’esthétique du film. Tourné en pellicule 16mm, ce matériau participe grandement à cette candeur et nostalgie qui se dégage de Louloute, en ce qu’il apporte de grain et d’effets reconnaissables aux images. Une mélancolie enfantine qui passe par les vives couleurs et lumières employées, tant elles rappellent des souvenirs bariolés des livres pour enfants ou des dessins animés. Puisant dans l’enfance de Louise, le film cultive dans son écrin un mimétisme de la France des années 1980.

En cela, Louloute pourrait s’observer comme une réponse à tout ce pan du cinéma américain moderne, faisant sempiternellement référence aux décennies passées, naturellement plus « cool » que le présent, jusqu’à l’écœurement marketing. Mais à la différence de ce cinéma américain-là, Louloute opte pour l’ancrage plutôt que l’hommage. Les références culturelles sont peu appuyées, c’est bien par l’image que le souvenir se fait. Le film est affaire de réminiscences : des images, des odeurs, des affects qui habitent l’esprit de Louise « Louloute », même une fois adulte. 

Louloute film

Les souvenirs de Louloute s’entremêlent et sont de deux natures : sensorielles et émotionnelles. Le sensoriel passe bien-sûr par ses liens avec les animaux notamment son chien, son furet, un hibou, des vaches et des poules – au quotidien mais aussi muté en peur : dans la vision macabre d’un œuf prématuré comme celle grouillante et cacophonique d’un poulailler industriel – mais aussi dans son rapport physique, flottant et naïf à la campagne, à la terre, à la boue, comme pour marquer l’imprégnation de ces éléments dans sa psyché d’adulte. Ce rapport au monde enfantin s’illustre également dans le lien innocent à la foi qu’à Louloute, presque plus prétexte que croyance. Cette sincérité est d’autant plus frappante et dramatique que Louloute est témoin – et ainsi le spectateur l’est aussi – des difficultés de ses parents. 

Mélanco-lait

La crise que traversent les parents de Louloute – interprétés par Laure Calamy et Bruno Clairefond – est intrinsèquement liée à la crise économique qui frappe l’exploitation laitière. Louloute aborde à travers le père de Louise les difficultés de la vie agricole : l’ouverture à la concurrence entre les paysans européens, la baisse des prix, la mainmise des industriels, les difficultés financières des producteurs ou encore le coût des machines. D’autant que le père de Louloute est traversé par un romantisme qui s’accorde bien avec la candeur de sa fille : par exemple, dès sa première apparition, il refuse de vendre une vache alors qu’elle ne produit plus de lait. Son exaltation de ses tâches quotidiennes couplée à sa rage contre un système économique qui tord les petits agriculteurs entraîne naturellement le dysfonctionnement du couple, et a fortiori de la famille entière. 

Le film ne se limite pour autant pas à la sincérité communicative de son héroïne ou à son volet social. Dans une belle séquence de souvenir cauchemardé, pont entre le naturalisme du récit et un fantastique assumé, Hubert Viel amène une étrangeté bienvenue dans ce quotidien d’une enfant à la ferme. Sous une photographie diaphane, il multiplie les symboles, les images épurées et marquantes, évoquant une bizarrerie jusqu’alors absente de Louloute, mais que l’on retrouvait déjà dans son précédent film Les Filles au Moyen Âge

Pourtant, s’il y a bien un écueil dans Louloute, c’est dans sa narration. Raconté en flashbacks depuis sa vie d’adulte, Louise se remémore sa vie à la ferme avec sa famille, ses émois, ses chocs, et les difficultés financières de ses parents durant tout le film. Mais l’alternance entre les souvenirs et le retour à la réalité n’est pas seulement convenue, elle alourdit plus que de raison le film. C’est d’autant plus dommageable que l’enfance de Louloute bénéficie de joliesses d’écriture, simples mais touchantes. En particulier dans les rapports entre la jeune fille et ses parents : d’un côté son père passionné, avec qui elle partage une forme de bonhomie, pourtant aveugle à ses difficultés ; et d’un autre côté sa mère qui endosse par défaut un rôle plus conflictuel, et qui pourtant reste un repère fort, notamment dans certaines scènes où ses tenues paraissent en écho avec celles de sa fille.

Appuyé par l’interprétation réjouissante de Louloute et sa fratrie et celle, moins candide mais tout aussi touchante de ses parents – en particulier celle captivante de Laure Calamy – Louloute se démarque comme une œuvre autant sur la ruralité que sur la mélancolie comme un long rêve dont on peine à se réveiller. 

Bande-annonce

18 août 2021 – De Hubert Viel, avec Alice HenriLaure CalamyBruno Clairefond