LUMIÈRE
D’origines et d’âges différents, quatre comédiennes sont réunies et évoquent leur parcours professionnel et sentimental…
Critique du film
Pour la première fois, devant et derrière la caméra, Jeanne Moreau se livre au jeu de l’autoportrait fondu dans la photo de groupe. Un film qui lui ressemble, frontal et sincère, pop et sombre dans lequel la réalisatrice dessine, à travers la chronique d’un choeur de femmes, les contours d’un métier qui se vit sur le fil du rasoir.
C’est une scène presque banale, une comédienne entre dans la lumière. Dans le vaste décor d’un plateau de cinéma, une équipe est au travail. Le chef opérateur règle ses projecteurs. Ce n’est même pas une répétition, à peine un échauffement. Cette comédienne, c’est Sarah, au sommet de sa carrière et au comble de sa fragilité. C’est aussi Jeanne Moreau interprète du rôle et réalisatrice qui choisit de conclure son film entre l’éclat et la brûlure, le double tranchant du titre, à la fois promesse et menace. Le film se situe dans cet entre-deux, entre le je et le jeu, diffractant l’un, sacralisant l’autre.
Une curiosité et plus encore
Sarah, Laura, Julienne et Caroline forment ensemble le kaléidoscope autour duquel la caméra tourne pour en révéler les doutes, les chagrins et les bonheurs. Saturé de couleurs vices, l’image véhicule d’emblée une vitalité entretenue par l’amitié qui soude le quatuor de comédiennes réunies dans la maison provençale de Sarah. La séquence d’ouverture introduit un long flash-back au cours duquel, un an plus tôt, les touches de couleurs sont cernées par une atmosphère beaucoup plus tourmentée.
Jeanne Moreau est devenue réalisatrice alors qu’elle est déjà une immense vedette. Ce geste était forcément un risque. Le film sera d’ailleurs reçu avec plus de circonspection que d’enthousiasme. Mais Lumière est à considérer aujourd’hui comme un témoignage assez passionnant, bien davantage qu’une simple curiosité. La réalisatrice filme à la fois l’époque, les années 70, la condition de comédienne à travers une variété de parcours, et une génération d’actrices et d’acteurs aux carrières très dissemblables. Du côté des femmes, l’italienne Lucia Bosé, la canadienne Francine Racette, la regrettée Caroline Cartier qui apporte au film un peu du charme décalé du cinéma de Jacques Rozier qu’elle a si bien incarné. Chez les comédiens, les jeunes Francis Huster et Niels Arestrup semblent déjà, chacun à leur manière, avoir délimiter leur emploi. Bruno Ganz traverse le film avec élégance mais sans véritablement de rôle à défendre et François Simon hérite du rôle masculin le plus avantageux, il interprète avec retenue et distinction l’ami de coeur et de hasard, confident de Sarah que sa présence rassure.
À travers le miroir
Le film n’échappe pas aux faiblesses des premières œuvres qui cherchent à embrasser large et finissent par sacrifier ses personnages sur l’autel du stéréotype mais il a le mérite de lever le voile sur l’envers du décor. Jeanne Moreau, comme le fera plus tard Christine Pascal, notamment dans Zanzibar, immerge sa caméra dans le vif et les affres, mettant à nu les inquiétudes et les angoisses d’un métier où les honneurs ne sont pas certitudes, les sourires pas (toujours) innocents.
Sarah cherche ailleurs, une respiration, un élan. Elle est attirée par l’humilité du scientifique et par l’énigmatique dramaturge à qui elle confie savoir par coeur la phrase que Bergman met en exergue de L’Heure du loup :
« L’heure du loup c’est l’heure où la nuit fait place au jour. C’est l’heure où la plupart des mourants s’éteignent, où notre sommeil est le plus profond, où nos cauchemars sont les plus riches. C’est l’heure où celui qui n’a pu s’endormir affronte sa plus violente angoisse, où les fantômes et les démons sont au plus fort de leu puissance ».
Sans doute les intentions sont-elles trop voyantes dans Lumière, le film n’en constitue pas moins un document du premier ordre pour approcher le mystère Moreau, l’audacieuse vulnérabilité, l’aérienne gravité.
Au cinéma le 15 février 2023