featured_madre

MADRE

Dix ans se sont écoulés depuis que le fils d’Elena, alors âgé de 6 ans, a disparu. Dix ans depuis ce coup de téléphone où seul et perdu sur une plage des Landes, il lui disait qu’il ne trouvait plus son père. Aujourd’hui, Elena y vit et y travaille dans un restaurant de bord de mer. Dévastée depuis ce tragique épisode, sa vie suit son cours tant bien que mal. Jusqu’à ce jour où elle rencontre un adolescent qui lui rappelle furieusement son fils disparu…

Critique du film

Le cinéma de Rodrigo Sorogoyen est synonyme de tension. Du polar nerveux et effréné de Que Dios Nos Perdone au thriller politique d’El Reino, ses personnages évoluent dans des environnements à la morale trouble, constamment sur le fil du rasoir. Madre n’échappe pas à la règle. Son ouverture étouffante rappelle le final d’El Reino, grand moment de prise à la gorge, autant pour le personnage principal que le spectateur. 

Le temps d’un long plan-séquence, dans un appartement exigu – comme seront construits la majorité des décors – une mère tente péniblement de s’accrocher à son fils, seul sur une plage française, à l’autre bout du combiné. Sans exposition, caméra à l’épaule, toujours en mouvement, l’ouverture de Madre fait explicitement comprendre que le drame sera intimiste. Les années passent, Elena vit sur désormais en ces lieux qui lui rappellent les derniers instants de son fils. Un adolescent, Jean, fait son apparition. A cet instant, au drame de la disparition vient s’ajouter le tumulte de ses sentiments. 

À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

Des deux précédents films de Sorogoyen, il se dégageait une grande nervosité, qui pouvait autant couper le souffle des spectateurs que nuire à la lisibilité des scènes. Dans Madre, le réalisateur parvient à trouver un équilibre. Les mouvements de caméras sont plus amples, les décors sont plus exigus et les cadres sont très souvent déformés à grands coups de gros plans en courte focale. Des éléments qui créent une sensation de dissonance inhérente au personnage d’Elena, persuadée d’avoir trouvé – ou retrouvé – quelque chose en Jean. 

C’est sur cette question des sentiments d’Elena et de Jean que Madre cultive son ambiguïté morale. La tension n’est pas ici nourrie par une affaire sulfureuse de tueur en séries, ou par la chute d’un politicien véreux. Dans Madre, la tension naît de deux perceptions différentes de ce qui nous est montré. La relation qu’entretient Elena à Jean, se perçoit différemment, selon les points de vue, selon les personnages ou selon les angles de caméra. La tension se nourrit ici des sentiments d’Elena, eux aussi sur le fil du rasoir, entre une tension érotique, fantasmée par Jean, et l’espoir d’une mère de rattraper le temps perdu avec son fils. 

Rien n’est offert gratuitement aux spectateurs, il faudra être attentif devant Madre pour déceler ce que projette Elena en Jean. Brillamment porté par Marta Nieto, Madre est le plus réussi des films de Rodrigo Sorogoyen, qui signe un thriller intime sulfureux et acéré d’une grande réussite. 

Bande-annonce

22 juillet 2020 – Réalisé par Rodrigo Sorogoyen


Lire aussi : notre interview du réalisateur