MAID
“C’est l’histoire d’une femme. Elle vit dans une grande et belle maison, le genre de demeure que l’on voit en couverture de magazines. Elle a un coach personnel, et un conseiller financier. Elle est allée au Louvre plus d’une fois […] Elle a le luxe d’avoir du temps”.
Critique de la série
Le teaser de Maid annonçait parfaitement la couleur, projetant sur fond de voix off féminine rêvant à une existence fantasmée, la débâcle du quotidien fragile d’une mère célibataire luttant pour conserver la garde de son enfant. D’un sujet controversé et ardu, Netflix n’a rien aseptisé, cherchant à rendre hommage, sous ses airs de fiction, au best seller américain intitulé Maid, hard work, low pay, and a mother’s will to survive et publié en 2019. Stephanie Land est l’auteure de ce récit autobiographique, et si “certains écrivains deviennent femmes de ménage” ainsi que nous le rappelle l’éditeur en deuxième de couverture, elle est la preuve vivante que l’inverse est également possible.
DU LIVRE À LA SÉRIE
Molly Smith Metzler, productrice et dramaturge américaine, décide d’entrer en contact avec Stephanie Land pour lui proposer de superviser une mini-série racontant sa propre histoire, inspirée par son livre devenu populaire mais surtout, inspirée de son vécu, car le livre élude certains points que l’auteure a souhaité amoindrir dans l’idée que sa fille le lirait un jour. La série aborde ainsi une forme aussi spectaculaire que vicieuse, car souterraine, de maltraitance : l’abus d’ordre émotionnel. BJ Harrison, comédienne qui incarne une figure féminine phare de la série venue en aide à l’héroïne, quoique reléguée au second plan, est cette petite voix murmurant à l’oreille d’Alex Russell (personnage de Stephanie Land), sans pudeur et sans pincettes, qui la met en garde contre la complexité de ce qu’elle traverse sans en avoir réellement conscience au départ. La véracité et l’authenticité du déroulement de l’action réside ici, car rien ne semble gagné d’avance. Semblable aux personnages des romans de Zola, Alex Russell, interprétée par Margaret Qualley dans son meilleur rôle jusqu’à présent, oscille constamment entre petites victoires et amères déconvenues. Or, une histoire de misère et de violence gratuite n’intéresse personne.
C’est bien qu’il y avait autre chose, derrière cette existence de femme éreintée. Il y a celle qui gronde à l’intérieur, il y a la volonté. Volonté de sortir de la pauvreté dans laquelle notre héroïne tombe du jour au lendemain, exposée au mépris de classe, que l’écrivaine et militante féministe américaine Barbara Ehrenreich dénonce dans la préface du livre de Land. Volonté de construire un avenir à sa fille âgée de deux ans, qui passe avant tout, avant elle-même. Volonté, pour les créateurs de la série, de montrer quelque chose de magique dans le pouvoir de résistance de la jeune femme qui, instinctivement, se dirige vers les bonnes personnes et ne cesse d’être en action. L’action de Maid, quant à elle, est mesurée, et ses rebondissements se font dans un calme douloureux. Classic Clean, devenu Value Maid dans la série, est le nom de l’entreprise de nettoyage qui permet à Alex de parer un peu au manque de fiabilité dont elle est victime. Land écrit dans son livre : “pauvreté est synonyme de saleté”, décrivant très justement l’anxiété permanente de devoir compter sur des clients aisés qui n’ont pas conscience de l’importance pour elle de ces quelques heures passées à nettoyer leurs demeures.
Afin de retracer le parcours de Stephanie Land, l’équipe de production entame en sa compagnie le “trauma tour” ainsi qu’ils le nomment gaiement aujourd’hui, de tous les lieux symboliques de sa lutte quotidienne. Nous suivons Alex en des lieux qu’elle ne se sent pas même légitime de visiter, dont le foyer pour femmes victimes de violences, sous prétexte que la violence qu’elle a subie n’est pas physique, pas réelle. Invisible. La déconstruction du foyer, première conséquence de la rupture de sa relation toxique, amène la mère célibataire à subir la véritable fracture sociale qui accable les Etats-Unis. Seule, vaguement soutenue par une mère au caractère excentrique et déconnectée de la réalité, que joue à la perfection Andie McDowell, véritable mère de l’actrice Margaret Qualley suivant l’invitation de cette dernière, elle paraît faire remuer, par son courage et sa persévérance, les branches pourries de son arbre généalogique. Le duo éclatant d’une mère et sa fille adulte, animées d’un même amour et déchirées par la condition de l’une et de l’autre, agit comme une source de réflexion sur la transmission psychologique, phénomène étudié par le cinéaste et écrivain Alejandro Jodorowsky dans son livre “La famille, un trésor, un piège”.
UNE MISE EN SCÈNE HALLUCINOGÈNE
Si la notion de fatigue et de faiblesse physique est relativement peu évoquée dans la série en comparaison avec la réalité du livre, Smith Metzler conserve un maximum d’informations véridiques, qu’elle va choisir de transformer visuellement. Interactive dans les premiers épisodes, la mise en scène inclut en pop up les dépenses de sa protagoniste dans un son léger d’encaissement, comme ayant pour but de partager avec le spectateur l’une des plus grandes angoisses de la pauvreté, au sein d’un pays où tout est payant et où l’administration se fait Minotaure, dans un labyrinthe de procédures sans fin. Dévalorisée, Alex va jusqu’à entendre les jugements que le monde autour d’elle lui porte en silence. Ce choix d’inclure des passages d’ordre surréaliste à la série se trouve être en parfaite continuité avec les expressions présentes dans le récit de Land qui, sans être écrivain alors, use de métaphores répétitives pour décrire au mieux son ressenti et ses accès de désespoir. A l’écran, ces métaphores sont tantôt d’une ironie sublime, tantôt d’une inquiétante noirceur.
Quand MAID semble au départ blâmer ceux injustement qualifiés d’incapables comme l’est le compagnon d’Alex, Sean Boyd (Nick Robinson), terme assoupli en version originale par l’expression délicieuse “a bird that never flew” (un oiseau n’ayant pas décollé), elle s’éloigne rapidement de toute condamnation pour ne se concentrer que sur celle qui agit et décide de se prendre en main, celle qui n’a d’autre choix que de survivre dans l’espoir de pouvoir penser à elle à nouveau. “La souffrance n’aime pas être ignorée. Elle a besoin d’être reconnue”. Sans le savoir, Land débute son propre processus de guérison en écrivant son livre, qu’elle avait honte au départ de nourrir de son expérience en tant que femme de ménage. Par l’écriture, elle se soigne, autant que par son travail qui consiste à nettoyer, et mettre de l’ordre. Dans la beauté de cette célébration de l’écriture, on trouve ce qui donne à Maid sa douceur, son humour irrésistible par moments, et sa grande poésie. De même que l’humanité des personnages permet un enchaînement sensible des épisodes, la fantaisie employée par la jeune femme pour alléger son quotidien, affublant les maisons de ses clients de petits noms tels que la Maison Porno ou encore la Maison Triste, donne à Maid des allures de conte, pétri par un esprit rempli de rêve.
Stephanie Land, revenant sur ces quelques années catastrophiques de sa vie avec beaucoup de compassion, précise que cette histoire qui est la sienne n’est pas représentative de ce que peuvent vivre la plupart des femmes de ménage si l’on considère le fait qu’elle n’ait pas été directement issue d’un milieu pauvre. Elle évoque ainsi la possibilité d’une suite à la série, qui serait axée sur d’autres femmes issues de divers horizons.
Depuis octobre 2021 sur Netflix