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MAMAN DÉCHIRE

Emilie fait un film pour tenter de saisir le plus grand mystère de l’univers : sa mère, Meaud. Enfant brisée, mère punk, grand-mère géniale, féministe spontanée, elle fascine autant qu’elle rend dingue. Une odyssée intime, un voyage dans le labyrinthe de la psyché.

Critique du film

Dix ans après Pauline s’arrache, Émilie Brisavoine revient avec sa petite pelote familiale et son cinéma bricolé maison et parvient à nouveau à faire vivre la fantaisie sur un matelas de tragédie.

Qui a vu Pauline s’arrache n’a pas oublié la famille de la réalisatrice, qui était déjà, dans toute son extravagance, le sujet et le centre du film. Émilie s’était attachée à suivre, sur plusieurs années, la vie de sa demi-sœur au sein d’un foyer borderline où dominait la figure de la mère. Maman déchire – encore un titre qui claque au vent tout en étant d’une justesse imparable – resserre la focale autour de Meaud, considérée par sa fille comme le plus grand mystère de l’univers. La grande différence entre les deux longs métrages, c’est que la cinéaste, cette fois-ci, entre dans le champ. Champ de cinéma et champ de bataille, le mot désigne aussi bien la scène d’un théâtre intime que le paysage d’un duel. Maman déchire et Émilie cherche à raccommoder ce qui peut l’être, mais surtout à comprendre. Les questions sont intimes et graves, les blessures profondes et la colère inexpugnable.

Mémétéorite

Mais le cinéma d’Émilie Brisavoine est aussi un cinéma de forme, et c’est en travaillant cette dernière qu’elle parvient à dépasser le nombrilisme de son sujet et faire de ses home movies des fantaisies poignantes. Pauline s’arrache devait au conte sa forme distanciée. Le genre convenait parfaitement à une histoire où les monstres se cachaient sous les atours les plus punks. Ici, c’est le documentaire scientifique, tendance cosmologie, qui fait office d’habillage et file une métaphore ironique.

Maman déchire

Les trous noirs sont les gouffres que la cinéaste tente d’explorer. La force gravitationnelle est la somme des non-dits qui pèse sur la famille depuis trop longtemps. Émilie rêve d’un big bang et de l’apaisement qui s’en suivrait. Il y a, dans ce cinéma domestique, une exubérance de la forme qui entrelace des registres d’images prosaïques. L’esthétique à l’oeuvre, par la force d’un paradoxe assez miraculeux, allège et révèle tout à la fois la dramaturgie familiale. C’est le registre amateur qui domine, dans un chaos formel où l’hétérogénéité le dispute à la sincérité. Les images en prise directe favorisent l’intensité de l’instant présent quand les archives sont davantage prétexte à la réflexivité.

Malédiction familiale

En se mettant elle-même en scène, la cinéaste prenait le risque de tomber dans un ego trip. Si elle ne l’évite pas totalement, au moins chasse t-elle la complaisance à grands coups d’autodérision, en témoigne la litanie des « praticiens » auxquels elle confie, en désespoir de cause, son profond malaise. Séquences assez pathétiques mais parfois, aussi, hilarantes, comme ce clip d’un charlatan adepte du pardon.

Mais alors, qui est Meaud, cette mère indigne, cause de tant de souffrances ? C’est à la fois un monstre et une bête blessée. Un monstre d’égoïsme, de dureté, de lâcheté aussi. Des reproches que le film charrie à deux voix, d’une part à la faveur d’une relecture du journal intime d’Émilie et d’autre part en donnant la parole à son frère dont les souvenirs de brimades et de manque d’amour accablent une mère, au mieux absente. La bête blessée, c’est d’abord ce bébé mort à la naissance et aussitôt réanimé, puis cette enfant battue par son beau-père, cette jeune femme qui enchaîne les tentatives de suicide et se croit sauvée par une apparition. C’est encore cette femme qui trouve l’amour auprès de Frédéric avec qui elle forme un couple atypique et volcanique. C’est enfin cette mère tyrannique et cette grand-mère gaga de son petit-fils. L’enfant en question, c’est la raison d’être du film, celui pour qui il était devenu capital pour la cinéaste de briser une malédiction familiale, d’essayer d’aligner les planètes. Cet enfant s’appelle Cosmo, le film lui est dédié.

Bande-annonce

26 février 2025Documentaire réalisé par Emilie Brisavoine