Marcello mio

MARCELLO MIO

C’est l’histoire d’une femme qui s’appelle Chiara. Elle est actrice, elle est la fille de Marcello Mastroianni et Catherine Deneuve et le temps d’un été, chahutée dans sa propre vie, elle se raconte qu’elle devrait plutôt vivre la vie de son père. Elle s’habille désormais comme lui, parle comme lui, respire comme lui et elle le fait avec une telle force qu’autour d’elle, les autres finissent par y croire et se mettent à l’appeler « Marcello ».

Critique du film

Christophe Honoré est un cinéaste de troupe : ses relations de travail s’inscrivent dans le temps, et Chiara Mastroianni est l’une des figures majeures de son cinéma depuis Les chansons d’amour en 2007. Marcello Mio est leur sixième collaboration, et, au vu du titre et du sujet, on peut dire que rarement un film n’aura été autant façonné autour de son actrice principale. Elle y joue son propre rôle, et on y voit déambuler toutes les personnes les plus importantes de sa vie, de sa mère, Catherine Deneuve, à ses ex les plus emblématiques, Benjamin Biolay et Melvil Poupaud, ou encore Fabrice Lucchini en ami intime qui l’accompagne dans cette drôle d’histoire avec une fidélité exceptionnelle. S’il est question de Chiara, c’est surtout Mastroianni qui est regardé par Honoré, la fille devenant le père, chapeau et moustaches à l’appui, dans une recréation du grand Marcello, décédé en 1996.

Ce sujet interpelle, que veut dire Honoré avec ce travestissement ? Pourquoi Chiara s’oublie-t-elle à ce point ? L’inquiétude des proches devant ce soudain changement s’évapore pour laisser la place à une forme d’acceptation déguisée en thérapie. Chiara devenue Marcello revisite une version fantasmée de la vie de son père, que ce soit accompagnée de Catherine, pour réinvestir les lieux où ils vécurent en famille, ou seule à la rencontre de scènes mythiques de sa filmographie. L’ensemble est dès lors à la fois très inégal, mais aussi un peu problématique, tant l’entre-soi est palpable et ne prend pas la peine de se cacher sous des apparences. Si certaines scènes fonctionnent, Chiara Mastroianni est une actrice touchante et vibrante qui, souvent chez Honoré, parvient à composer des personnages complexes et riches, d’autres sont plus vaines et tombent à plat, faute d’enjeux dramatiques suffisants.

Avant de quitter Paris pour retrouver les traces familiales en Italie, de Rome à une petite ville au bord de la mer Méditerranée, le récit s’enlise autour de motifs plutôt quelconque, comme cette rencontre avec une soldat britannique sur un pont parisien. Tout ce passage cite explicitement Nuits blanches de Luchino Visconti (1957), Maria Schell se muant en jeune homme suicidaire réconforté par Marcello. Il est difficile d’apprécier ces scènes au delà de l’évidente citation filmographique. La récurrence de ces instants tournent en rond sans qu’on puisse en apprécier un supplément d’âme ou une fugue dans le récit comme sait pourtant si bien le faire l’auteur de Dans Paris.

Marcello Mio

Si le film ne fait dans la psychologie trop facile pour expliquer l’état émotionnelle de son personnage principal, il penche trop dans l’excès inverse, on ne comprend jamais véritablement pourquoi Chiara change d’identité brutalement, ni pourquoi elle finit par s’en extraire. Tout semble prétexte à une endogamie de façade, et à des vacances au bord de la mer entre amis sous les yeux du spectateur qui se demande un peu ce qu’il est venu faire dans cette thérapie familiale, symbolisée par une gênante partie de volley sur la plage. Ces instants, ni vrai ni faux, plus vraiment de la fiction mais pas non plus captation du réel, sont un révélateur de tout ce qui ne fonctionne pas dans le film. Plus réussie, la confrontation entre Stefania Sandrelli, grande actrice italienne qui a partagé cet âge d’or du cinéma transalpin avec Mastroianni, brille par l’émotion transmise par une Chiara mutique, qui s’interdit toute parole face au jeu qu’on lui propose, comme enfin consciente de la mascarade qu’elle a elle-même déclenchée.

Si Christophe Honoré est un merveilleux conteur d’histoire, il ne parvient pas avec Marcello mio à faire exister son scénario au delà des connivences trop évidentes qui existent entre les personnages. On n’en sait pas beaucoup plus sur Marcello Mastroianni à la fin du film, et pas plus sur Chiara, pourtant de chaque plan, et son mal existentiel qui l’a poussée à se mettre entre parenthèses pour revêtir le costume si lourd d’un père aussi charismatique.


22 mai 2024 – De Christophe Honoré, avec Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve et Benjamin Biolay.


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