MARS EXPRESS
En l’an 2200, Aline Ruby, détective privée obstinée, et Carlos Rivera son partenaire androïde sont embauchés par un riche homme d’affaires afin de capturer sur Terre une célèbre hackeuse. De retour sur Mars, une nouvelle affaire va les conduire à s’aventurer dans les entrailles de Noctis, la capitale martienne, à la recherche de Jun Chow, une étudiante en cybernétique disparue. Noctis est leur ville, une utopie libertarienne rendue possible par les progrès en robotique, emblème d’un futur tourné vers les étoiles. Au fil de leur enquête, ils seront confrontés aux plus sombres secrets de leur cité ; ses institutions corrompues, ses trafics, ses fermes cérébrales, et les magouilles des toutes puissantes corporations. Mais des tueurs cyber augmentés ont eux aussi pris pour cible Jun Chow. Aline et Carlos se lancent dans une course désespérée pour sauver cette jeune femme qui, sans le savoir, détient un secret capable de menacer l’équilibre précaire sur lequel repose leur civilisation.
Critique du film
Difficile de ne pas accorder d’emblée tous les mélioratifs à Mars Express tant la fascination qu’exerce la première scène de hacking est immédiate : jeu de dupes entre deux binômes de personnages digne de Mission Impossible, où l’on comprend à la fin que ceux avec qui la séquence commence sont les criminels, et ceux désignés comme intrus les personnages principaux. Manière de poser le génie tranquille du film, à savoir tourner ses événements dans un sens puis dans l’autre, pour poser les enjeux et limites de son petit univers de hard SF, et s’assurer que protagonistes comme antagonistes ont les moyens de les détourner.
La production de ce premier long-métrage de Jérémie Périn, animateur et réalisateur de la série Last Man, semble avoir été menée avec condensation comme maître mot. Tout se passe comme si les séquences cherchaient à décrire autant que possible ce monde futuriste tout en en gardant que le plus strict essentiel. On retrouve une grande fluidité dans le récit comme dans la composition et l’animation des scènes, la fluidité des grands films qui savent où ils vont – en l’occurrence, jusqu’à une planète rouge désormais colonisée par les humains et les robots.
L’intrigue navigue ainsi entre la présentation des nouveaux faits sociaux (le phénomène de « déplombage » des robots orchestrée par des réseaux de hackers pour leur rendre leur liberté, les étudiants qui vendent leur temps de cerveau disponible pour payer leurs études) et les nouvelles perceptions de la réalité (la possibilité de contacter les gens par la pensée, de scanner les environnements, de projeter des hologrammes de télésurveillance) mises en scène avec beaucoup de ludisme. À l’évocation des ces thématiques, le fait devient évident : Mars Express trouve beaucoup d’inspirations diverses dans la japanimation et le cinéma de science-fiction américain des années 1980 et 1990, mais tout est suffisamment bien infusé pour que l’ensemble ne soit pas trop précis, trop lourdement référencé. Le film reprend méthodiquement les environnements glauques typiques du cyberpunk et les articulations narratives propres au polar pour construire un univers dickien qui ne dit pas son nom, et qui sort tout à fait du petit hommage propret que l’on pouvait redouter.
Malgré cet héritage très installé dans l’imaginaire collectif, l’équipe de Jérémie Périn développe une partition qui lui est propre, bien aidée par le fait que l’écriture n’est pas figée dans un sérieux monolithique. Le sarcasme des deux policiers dont on suit l’enquête – Léa Drucker et Daniel Njo Lobé, tous deux impeccables – donne une certaine tangibilité à des éléments et thématiques qui peuvent facilement être froids. La dynamique de ces équipiers, soutenue par une animation remarquable des micro-expressions des visages, aide le spectateur à rentrer dans une intrigue de meurtre dense, dont on peut perdre de vue les détails, mais jamais le fil principal. Les différentes étapes de l’enquête s’enchaînent en effet avec une logique implacable, comme des cartes abattues les unes après les autres au cours d’une partie terminée d’avance. Le film repose, et c’est finalement rare, sur un vrai jeu de pistes, avec certaines qui finissent en cul-de-sac mais confirment des intuitions pour d’autres, et aident personnages et spectateurs à mieux saisir la toile qui se dessine peu à peu devant eux.
Mars Express gravit ainsi sans effort apparent le chemin royal qu’il s’est lui-même tracé, jusqu’à ce final sombre qui crée la surprise en basculant subitement dans un autre registre, désespéré et presque existentialiste. Pris par un bout ou par l’autre, le long-métrage de Jérémie Périn demeure immuable : c’est une œuvre complète, parcourue d’une traite, qui met en images avec évidence le suspense de son scénario. Le Sommet des Dieux avait créé une fêlure, voici enfin arrivé le film d’animation français pour adultes qui ouvrira définitivement la brèche pour toutes les autres productions du genre à venir.