MAUVAIS SANG
Au milieu des années 80, Paris est frappé par un étrange virus, le STBO, équivalent du SIDA. Acculés par des dettes accumulées envers « l’Américaine », Marc et Hans font appel au fils d’un ami malfrat pour laver leur passé et voler un échantillon du remède au virus. L’insouciant Alex, traîné de force dans ce cambriolage, y trouvera bien plus que ce qu’il en est venu chercher.
Le diamant de Carax.
Découvrir Mauvais Sang aujourd’hui, trente ans plus tard, c’est se confronter à un cinéma comme on n’en fait plus, ou presque. Le film de Leos Carax est un concentré de Nouvelle Vague et d’expérimentations-hommages. Ce sont les fruits d’un cinéphile de 26 ans dans son deuxième long-métrage. Héritier de Rimbaud à qui il emprunte son titre, Leos Carax met en images sa poésie urbaine dans le sillage d’un Pierrot le Fou ou de Jean Cocteau et affirme une liberté formelle unique en son genre.
Féérie terre-à-terre
Riche des leçons du cinéma moderne de ses illustres prédécesseurs, Carax adopte un mode de narration éclaté, une temporalité changeante, distordue, allongée à l’envi dans le noir de cette nuit parisienne qui n’en finit pas. À l’avant-gardisme de la forme du récit, ou plutôt de ses multiples formes, s’ajoutent l’aspect extrêmement littéraire des dialogues et l’usage rigoureusement anti-naturaliste des éclairages. Ils plongent le film dans un réalisme magique sans égal dans le cinéma des années 1980.
Mauvais Sang est tout sauf un film qui se livre sans broncher. Amoureux transit et fidèle de ses personnages, Carax dévoile son intrigue sous la forme de prismes cryptiques dont il faut patiemment déverrouiller les verrouillages. Marc (Michel Piccoli) et Hans (Hans Meyer), deux vieux mafieux, se font inquiéter pour une sombre histoire de dette par “l’Américaine”. Leur seule chance d’éviter de finir dans les faits divers : Alex, fils d’un collègue malfrat. Brillamment interprété par Denis Lavant, Alex n’a d’yeux que pour l’innocence d’une vie de prestidigateur de rue et l’amour maladroit envers Lise (Julie Delpy). Il va toutefois falloir abandonner les amourettes naïves pour l’amour, le vrai, et son lot de tragédies fatales. Le STBO fait rage, ersatz du SIDA. Alex doit en dérober un échantillon, dans la promesse d’un vaccin autant que de l’acquittement de Marc et Hans.
Bleu, noir, rouge
S’inscrivant entre la romance, le mélodrame, le film noir, la science-fiction et l’aventure, le poème visuel ou le tableau vivant, Mauvais Sang reste des décennies plus tard un insatiable objet de fascination dans la très courte et précieuse filmographie de son créateur. Le film aurait parfaitement pu se contenter d’osciller entre thriller et SF, si seulement Alex n’avait pas croisé l’amour dans un banal bus. La beauté, le divin, il s’incarne en Anna (splendide Juliette Binoche), petite amie de Marc et coup de foudre instantané pour notre héros. Brisé par une telle déferlante de pureté, Alex se contrefout soudain d’un monde qui ne le condamne de toute manière qu’à de futiles tours de passe-passe.
Mauvais Sang se transforme alors en une nuit de séduction jamais vraiment admise comme telle de la part d’Alex et d’Anna. Alors que plane le spectre du STBO, virus tuant “ceux qui font l’amour sans aimer”, eux s’aiment sans faire l’amour. Le non-couple se jauge, se cherche, se fuit et se poursuit dans une désynchronisation parfaite. Alex, naïf, souffre évidemment le plus d’un sentiment dont il ne parvient pas tout à fait à cibler l’échelle. Alors il observe, il questionne, il supplie. Il se frappe au ventre et danse en un travelling parisien nocturne devenu culte.
Soulignons l’usage tout pictural de la couleur dans la compositions des scènes, des costumes et des décors, qui marquera à coup sûr la rétine du spectateur indépendamment des très probables incompréhensions relatives au scénario. Comment oublier cette Binoche en peignoir bleu électrique qui, après avoir couru sur l’asphalte noir jusqu’à l’hôtel d’en face, se place près du comptoir où trône un bouquet de fleurs rouges vermillon ? La symbolique des couleurs, aussi complexe soit-elle, constitue certainement une des principales clés de lecture du film. Mauvais Sang n’est pas un produit immédiat. Il s’infiltre dans nos veines avec la lenteur d’un traitement de choc, nous colle une fièvre d’enfer à mesure qu’il lutte contre les anticorps des genres cinématographiques et nous laisse groggy pour le reste de la nuit. Ce qu’il nous injecte au final ? L’art de se perdre entre rêve et réalité.
Par François Labitrie & Robin Souriau
La fiche
MAUVAIS SANG
Réalisé par Leos Carax
Avec Denis Lavant, Juliette Binoche, Michel Piccoli, Julie Delpy…
France – Drame, Thriller
Sortie : 26 Novembre 1986
Durée : 125 min
Ressortie en salle : 28 Septembre 2016