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MEDUSA

Brésil, aujourd’hui. Mariana, 21 ans, vit dans un monde où elle doit être une femme pieuse et parfaite. Pour résister à la tentation, elle s’attelle à contrôler tout et tout le monde. La nuit tombée, elle se réunit avec son gang de filles et, ensemble, cachées derrière des masques, elles chassent et lynchent celles qui ont dévié du droit chemin. Mais au sein du groupe, l’envie de crier devient chaque jour plus forte.

Critique du film

Mariana et ses amies vivent une vie bien rangée, au sein de leur communauté catholique du Brésil, et se préparent au futur qui leur est destiné : un mari, des enfants et une vie pieuse de femmes au foyer. Mais l’ombre d’une légende urbaine plane sur elles et fait vaciller leurs certitudes.

Il fait nuit et une jeune fille paniquée se met à courir dans une rue déserte, afin d’échapper à la menace qui la poursuit. Medusa vient de commencer et, au vu du titre et du parcours de la réalisatrice Anita Rocha da Silveira, on s’attend à un conte féministe moderne, une relecture du mythe de Méduse, la femme au regard meurtrier, aujourd’hui symbole de la colère féminine. Quelle n’est pas notre surprise, donc, lorsque nous découvrons que ce que fuit la jeune femme, ce n’est pas un agresseur masculin mais bien un groupe de filles aux visages masqués, qui l’acculent et la rouent de coup en lui demandant de reconnaître ses péchés et de prêter allégeance à Jésus… Les masques tombent, le cadre se resserre et nous découvrons l’héroïne avec laquelle nous nous apprêtons à passer deux heures : insouciante, le regard lumineux, elle bavarde avec ses amies et sourit à la caméra, sûre d’elle.

Anita Rocha da Silveira livre avec Medusa un film surprenant, empruntant au film de genre et au fantastique pour dérouler la trame de son conte aux accents mythologiques. Baignant dans une atmosphère surréaliste qui n’est pas sans rappeler l’absurde et l’onirisme de David Lynch, le récit tire sa force de son imprévisibilité, et suit une trajectoire narrative jalonnée de brèches et de zones d’ombres. Masques d’animaux effrayants, fantôme d’une jeune femme défigurée par le feu, hôpital en ruine lugubre : Medusa se promène dans l’univers horrifique, un genre que la réalisatrice affectionne et qui nourrit son oeuvre, sans jamais franchement y basculer, le vrai centre de gravité du film résidant ailleurs.

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Que les débuts antipathiques de l’héroïne ne vous trompent pas : le film de Da Silveira parle avant tout de femmes et de leur rage, qui s’exprime de façon différente, par la violence des héroïnes à l’encontre de leurs paires, par leurs cris et par le sang qu’elles versent. Ancré dans un contexte fortement religieux, Medusa offre une plongée glaçante dans un milieu catholique ultra-conservateur, dont on ne sait s’il appartient à un futur dystopique ou au présent. Sur fond de réflexions concernant l’insécurité, le christianisme et les violences faites aux femmes, Anita Rocha da Silveira porte un regard acéré sur la réalité socio-politique de son pays, réduite ici à un bruit de fond quasi surréaliste : difficile de ne pas penser à la violence du Brésil, à ses féminicides et à la montée de l’extrême-droite à laquelle le pays fait face depuis l’élection de Jair Bolsonaro.

En creux, un propos subtil sur le racisme et le métissage de la population brésilienne contribue à ancrer le film dans le présent : Mariana, le personnage principal, est aussi une jeune femme noire en proie avec les normes de beauté occidentales et conventionnelles, pierre angulaire du carcan dans lequel elle est enfermée. Alors qu’elle lisse soigneusement ses cheveux au début du film afin de ressembler à sa meilleure amie, la blonde et angélique Michele, ses boucles reprennent naturellement leur place au fur et à mesure qu’elle s’émancipe du microcosme dans lequel elle a grandi. Si les yeux de Méduse changent traditionnellement le monde en pierre et le figent, dans Medusa, ils s’ouvrent grand pour regarder la réalité en face et remettre le monde en marche, ce qui n’est pas moins dangereux.

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L’intérêt du film ne tient pas uniquement à ce qu’il nous dit de la condition des femmes ou de l’hypocrisie des communautés religieuses d’extrême droite, il réside aussi dans sa capacité à se réapproprier des symboles connus et à jouer avec, brouillant notre perception du bien et du mal. Les serpents, faisant écho au titre et à la chevelure de Méduse, jalonnent le film. Sont-ils synonymes d’émancipation féministe ou de péché biblique ? De la même façon, da Silveira alterne les couleurs, leur conférant des significations troubles, interchangeables. Le vert, traditionnellement associé à l’espoir, acquiert ici une connotation inquiétante ; omniprésent à l’écran, il renvoie à la fois aux chemises de la milice masculine religieuse et à la forêt tentatrice dans laquelle se perdent les jeunes filles, tandis que le rouge est tour à tour associé au sang qui coule et la liberté. Les deux couleurs se mélangent dès le premier plan, un œil féminin qui nous regarde fixement et qui annonce déja la complexité des questions soulevées. Devons nous éprouver de la sympathie pour Mariana et ses amies alors qu’elles lapident des jeunes femmes innocentes ? A qui faire confiance ?

Sans complaisance mais sans tomber dans la cruauté gratuite, la réalisatrice filme des héroïnes humaines, imparfaites et solidaires, et parvient à nous tenir en haleine malgré quelques longueurs. Si l’on regrette que la photographie n’ait pas été un peu plus soignée, on se perd plaisamment dans cette forêt de symboles qui interrogent l’émancipation féminine et ses différents visages.

Bande-annonce

16 mars 2022 – De Anita Rocha da Silveira, avec Mari Oliveira, Lara Tremouroux et Bruna Linzmeyer.


Quinzaine des Réalisateurs / Cannes 2021