MEMORIES OF MURDER
En 1986, dans la province de Gyunggi, le corps d’une jeune femme violée puis assassinée est retrouvé dans la campagne. Deux mois plus tard, d’autres crimes similaires ont lieu. Dans un pays qui n’a jamais connu de telles atrocités, la rumeur d’actes commis par un serial killer grandit de jour en jour. Une unité spéciale de la police est ainsi créée dans la région afin de trouver rapidement le coupable. Elle est placée sous les ordres d’un policier local et d’un détective spécialement envoyé de Séoul à sa demande. Devant l’absence de preuves concrètes, les deux hommes sombrent peu à peu dans le doute…
Un regard ordinaire.
Bong Joon-Ho n’a pas attendu Netflix et la polémique sur Okja ou même sa venue à Hollywood pour adapter le Transperceneige en 2013 pour se faire connaître des cinéphiles. Acteur central de la Nouvelle Vague coréenne qui a exporté des films en Occident au début des années 2000, il est responsable d’un de ses plus grands films, même si Park Chan-wook est plus connu dans nos contrées, Old Boy à Cannes oblige.
Pour s’en convaincre, il suffit d’en parler aux personnes qui l’ont vu. Les entendre citer les scènes qui les ont marqués et se rendre compte du poids émotionnel du film. Car non seulement Memories of Murder est un excellent film, mais il fait aussi parti de ses œuvres qui accompagnent – voire hantent – le spectateur pendant très longtemps. Pourtant rien ne prédispose Memories of Murder à être aussi viscéral et prenant. C’est tout le génie de Bong Joon-Ho de savoir jongler entre les genres pour mieux associer le spectateur à l’affaire qui préoccupe les policiers. Pour finalement lui faire perdre pied petit à petit et lui faire prendre conscience que cette affaire – une série de viols et de meurtres inspirée de faits réels dans les années 1980 – est plus que banale.
À la fois vaudeville dans sa première partie, avec ces flics campagnards adeptes de high-kicks bien placés et peu familiers des méthodes de cette nouvelle police tournée vers les technologies, film policier racontant la professionnalisation du flic des campagnes (Song Kang-Ho magistral comme d’habitude) et la perte de repères d’un jeune flic citadin hautain, thriller halluciné dans sa dernière demi-heure où tout se brouille à l’écran et dans l’esprit du spectateur, mais aussi chronique sociale d’une Corée au crépuscule de la dictature militaire ; Memories of Murder est énormément de choses. Cela aurait pu lui donner un aspect foutraque et confus, or il n’en est rien.
Principalement car Bong Joon-Ho est un cinéaste talentueux et un des meilleurs de sa génération. Il sait aiguiller l’oeil du spectateur lors des grands plans d’ensemble qu’il réalise – Tony Zhou l’a parfaitement démontré dans sa vidéo consacré à ce thème sur sa chaîne Every Frame a Painting, inutile donc de trop insister dessus – et a une gestion du rythme quasiment parfaite. Alliant cinéma de genre et film d’auteur – avec des tics de réalisation que l’on retrouvera plus tard dans The Host ou Mother son autre chef d’œuvre – Bong Joon-Ho effectue aussi une synthèse parfaite entre cette ambiance coréenne si particulière et les films policiers américains – dynamique entre la police locale et le FBI, perte de repères, etc. Le tout avec un soupçon de James Ellroy pour l’insertion d’une trame de fond sociale et politique en arrière-plan et pour le désespérée qui pointe le bout de son nez au fur et à mesure que le film avance et que la pluie y tombe.
Ce qui donne le vertige aussi, en plus de la mise en scène de Bong et de la qualité du scénario, est l’affaire en elle-même. Inspirée d’une véritable série de viols suivis de meurtres sur dix femmes entre 1986 et 1991 à Hwaseong, elle donne le vertige de par la sensation d’être à la fois proche d’attraper le meurtrier et en même temps d’être loin du compte. D’ailleurs, Bong Joon-Ho et son équipe n’ont pas fait les choses à moitié : enquête sur le terrain durant un an, entretiens avec les acteurs de l’affaire, tournage dans la zone même des meurtres… Quand on s’intéresse à cette affaire a posteriori du visionnage du film – c’est important de procéder dans cet ordre – on se rend compte de son poids à l’époque dans la société sud-coréenne. Et tout le travail en amont réalisé par l’équipe du film explique la solidité du scénario et de cette ambiance poisseuse – bien entendu grandement aidées par le talent de Bong Joon-Ho derrière la caméra.
Clairement il y a un avant et un après Memories of Murder pour le spectateur. Inutile d’aller plus loin et de spoiler ce qui serait criminel, mais sa ressortie en salle est une aubaine formidable pour voir ce que la Corée a sortie de mieux dans les années 2000. Alors qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse chaud, foncez au cinéma si vous le pouvez pour voir ce chef d’oeuvre et en sortir, vous aussi, transformé.
La fiche
MEMORIES OF MURDER
Réalisé par Bong Joon Ho
Avec Song Kang-Ho, Kim Sang-kyung, Hie-bong Byeon…
Corée du sud – Policier
Sortie : 23 juin 2004 (ressortie version restaurée : 5 juillet 2017)
Durée : 130 min
Un chef-d’oeuvre en effet. Tout est exceptionnel dans ce film : l’intelligence et la maitrise de la mise en scène (qui fait passer un Old Boy pour une puérile provocation d’adolescent), l’ampleur du regard qui embrasse toute une époque (Bong Joon-ho fait aussi un travail de sociologue), l’interprétation, la musique. J’ai moi aussi chroniqué le film sur mon blog à l’occasion de cette reprise en version restaurée.