MEMORY
Sylvia mène une vie simple, structurée par sa fille, son travail et ses réunions des AA. Pourtant, ses retrouvailles avec Saul bouleversent leurs existences, réveillant des souvenirs douloureux que chacun avait enfouis jusque-là.
Critique du film
Avec son précédent film, Sundown, Michel Franco nous avait laissés seuls auprès d’un personnage condamné à la mort, qui avait fait le choix de l’isolement en rejetant tout contact avec ses proches. C’est un mouvement bien plus avenant, ouvert vers les autres, qui parcourt Memory. Nous découvrons d’abord Sylvia au sein d’un corps collectif et bienveillant, celui des Alcooliques Anonymes, où elle se rend depuis treize ans, l’âge de sa fille et de sa sobriété. Sylvia est elle-même dévouée puisqu’elle travaille dans une maison de retraite pour adultes handicapés. Il n’empêche, une fêlure intérieure ferme son visage, verrouille ses émotions et toutes ses actions. En témoigne ce réflexe sécuritaire qui consiste, par un geste précipité, à fermer systématiquement sa porte à clé puis désactiver son alarme, créant une petite musique oppressante à chaque retour dans son appartement.
Sans doute poussée par une intuition, comme lorsque l’esprit vous dicte quelque chose sans vous en dévoiler immédiatement la raison, elle accepte de se rendre à une fête d’anciens élèves. Là-bas, où elle pensait retrouver une amie, elle attire le regard d’un homme avec qui la complicité n’est pas évidente. Mutique, bizarre, il s’approche d’elle sans se justifier, tel un voyeur aux mauvaises intentions ou un enfant curieux, malhabile et gênant. Elle décide de partir mais il continue à la suivre, nous pourrions être alors dans un thriller. Une filature démarre dans les rues de New York, le long du quai du métro et dans les wagons, jusqu’à la porte de l’immeuble où vit Sylvia. Qui est cet homme ? Pourquoi la suit-il ? Faut-il en avoir peur ? À partir de cet événement, le scénario devient imprévisible et multiplie les fausses pistes, mû par une logique du cœur : la vérité ne pourra advenir que par le cheminement intime des personnages, leur dialogue, leurs erreurs, leur sincérité.
C’est ici que le titre intervient et révèle la profondeur du film. La mémoire et les souvenirs sont au centre du drame des vies accidentées de Sylvia et Saul. L’une a enfoui en elle une souffrance, qu’elle peut apaiser grâce à la résurgence de la mémoire et à la parole pour dire le traumatisme ; l’autre, au contraire, voit ses souvenirs disparaître puisqu’il souffre d’un mal qui le rend de moins en moins conscient du passé. De cette tension permanente entre l’oubli et la vérité, Michel Franco saisit la nécessité de l’écoute avec une grande justesse, et un certain sentiment d’urgence. Une harmonie, même, trouve sa place chez ce couple de personnages très forts. Toujours placés au centre du cadre, ils guident véritablement la mise en scène. Et qui dit film de personnages dit également film d’acteurs. Ce sont Jessica Chastain et Peter Sarsgaard, pour sûr, qui ont inspiré à Michel Franco ce bel élan d’empathie.