MON CRIME
Critique du film
“Donne leur de la bonne vielle esbrouffe, car comment pourraient-ils voir avec des paillettes dans les yeux ?” Lorsque Roxie Hart, accusée du meurtre de son mari, panique avant d’apparaitre aux assises, son avocat et ténor du barreau de Chicago , Billy Flinn la rassure avec ces mots. Le procès n’est qu’un jeu de dupes, où les règles sont truquées par essence, et où seul celui qui fera la plus fracassante des impressions parviendra à mordre à la gorge de son adversaire afin d’accomplir la métamorphose parfaite du paria à la vedette.
Incontestablement, François Ozon réalise avec son vingt-deuxième long métrage une oeuvre somme à plus d’un titre. Continuant sur sa lancée d’adaptations après Peter Von Kant, il signe également une sorte de troisième volet à sa trilogie théâtrale implicite, après Huit Femmes et Potiche, séparés d’une dizaine d’années de sorties tel un rendez-vous. Si l’esthétique historique et colorée règne en maître sur la direction artistique, les personnages féminins y sont bien rois – le tout porté par un casting d’exception et des dialogues mordants.
LIE(GT)S, CAMERA, ACTION !
Bien qu’il soit bien moins léger qu’il n’y parait au premier abord, la coloration jubilatoire du ton du film frappe dès les premières minutes. Idéal à l’adaptation du genre théâtral sur grand écran, Ozon réussit une fois de plus à mettre en scène un film dans la plus pure tradition de la screwball comedy, où les situations s’enchaînent avec un rapidité d’autant plus jouissive qu’elle n’a jamais été aussi bien couplée à des répliques plus corrosives à mesure qu’avance l’intrigue.
Offrant une scène par essence éloquente à ses interprètes – la barre d’une cour d’assises -, ceux-ci sont d’une justesse de jeu d’autant plus notable que la responsabilité de la pertinence du propos repose entièrement sur leurs épaules. Si le texte de Georges Berr et Louis Verneuil raisonne avec autant de modernité, c’est grâce au timing parfait de ces comédiens dont le talent, s’il ne faisait aucun doute, se rappelle à la conscience du spectateur avec une force de frappe redoutable parce qu’elle en surpasse les attentes.
Jouant autant sur leur différence d’apparence physique que sur leur phrasé diamétralement opposé, Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder forment un tandem d’accusée et d’avocate déjà culte, tandis qu’Olivier Broche campe un greffier délicieux de perspicacité face à un Fabrice Lucchini irrésistible en magistrat instructeur. Et s’il semble désormais établi qu’à raison de quelques minutes d’écran par film, Daniel Prévost fait toujours autant mouche, la véritable surprise ne nous est pas offerte par Isabelle Huppert mais bien par Dany Boon. Certains ne seront pas sans y reconnaitre une version plus mature d’un certain Greg dans Bimboland, tant son accent et sa moustache semblent tous droit sortis des archives de la filmographie d’Ariel Zeitoun – couplés à une douceur et une conscience du monde essentielles à l’intrigue.
La composition des personnages, au nombre pair si cher à Ozon – huit potentielles meurtrières dans Huit femmes, six archétypes de conditions sociale dans Potiche – est trop récurrente pour constituer un simple hasard. D’ailleurs, la force avec laquelle chacun des personnages en appelle un autre renvoie à un autre classique du genre, où une fois de plus, les femmes sont à l’honneur et se retrouvent à devoir se défendre face à un tribunal masculin. En effet, les similitudes de Mon Crime et Chicago sont telles qu’elle appuient plus fortement encore l’extraordinaire hommage qu’Ozon rend ici au cinéma des années 30, hommage qui va bien au delà de la simple inspiration.
HOW TO GET AWAY WITH MURDER
À considérer que Mon Crime soit notre Chicago français – et en reconnaissant ainsi tout le génie du réalisateur de faire endosser consciemment ou non la robe du génialement cynique et baroudeur avocat Billy Flinn au personnage interprété par Rebecca Marder, la transposition habile de l’intrigue du monde de la publication à celui de l’industrie du cinéma place le long-métrage dans une grande tradition des films de l’ère ayant précédé l’entrée en vigueur du Code Hays.
Comme le souligne Mick Lasalle dans son ouvrage Complicated Women, Sex and Power in Pre-Code Hollywood, la figure de la femme fatale – celle qui tue et qui se drape des plus noirs mystères pour brouiller les pistes – fut une des nombreuses allégories de femmes modernes ayant émergé de la grande période de transition du muet vers le parlant.
Dans Mon Crime, le mensonge et l’habile utilisation des apparences purement physiques ou sociétales sont les armes principales de Madeleine Verdier. Dans la grande tradition de chefs d’oeuvres comme The Story of Temple Drake, ils servent le ressort aussi comique que dramatique, permettant de dénoncer frontalement la condition de la femme et l’impossibilité pour une femme de se défendre “honorablement” – l’honneur reposant sur un systémisme patriarcal précisément destiné à condamner quiconque s’opposerait au privilège masculin dominant.
Mêlant subtilement l’immersion dans le Paris des années 30 à un propos éminemment d’actualité, Mon Crime réunit les éléments constitutifs de la meilleure des infractions au cinéma : l’efficacité de sa mécanique, la virtuosité de ses acteurs et la pertinence de son propos. Un film jubilatoire, tenant autant de l’hommage que de l’impertinence, qui portera haut les couleurs de justice en sortant sur nos écrans un mercredi de journée d’action, de sensibilisation et de mobilisation dédiée à la lutte pour les droits des femmes.
Bande-annonce
8 mars 2023 – De François Ozon
avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert