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MON INSÉPARABLE

Mona vit avec son fils trentenaire, Joël, qui est « en retard ». Il travaille dans un établissement spécialisé, un ESAT, et aime passionnément sa collègue Océane, elle aussi en situation de handicap. Alors que Mona ignore tout de cette relation, elle apprend qu’Océane est enceinte. La relation fusionnelle entre mère et fils vacille..

Critique du film

Diplômée de la FEMIS, section réalisation en 2020, Anne-Sophie Bailly connaît une année bien remplie avec sa collaboration au scénario pour Le procès du chien de Laetitia Dosch, présenté en sélection officielle à Cannes, et la présence de son premier long-métrage en temps que metteuse en scène, Mon inséparable, en section Orizzonti à la Mostra de Venise. Le premier paradoxe du film est d’avoir un casting de jeunes débutants, à l’instar du récent Grand prix de la Semaine de la critique Simon de la montagne, jouant les rôles de jeunes adultes sous tutelle de leurs parents, avec au centre du projet Laure Calamy, dans un personnage taillé sur mesure pour elle. Révélation d’un Monde sans femmes de Guillaume Brac en 2011, il a fallut attendre 2020 et Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, pour la voir prendre le centre de la scène et de l’attention de nombreux et nombreuses cinéastes.

Que ce soit dans À plein temps (2021) ou Iris et les hommes (2023), Laure Calamy épouse à merveilles les contours de ces mères de famille quadragénaire en proie à une activité débordante et un certain grain de folie. Le sujet de Mon inséparable prolonge cette suite de films, avec une différence majeure, celle d’introduire une mère désarçonnée par les prises de position de son fils jugé comme « différent ». Anne-Sophie Bailly choisit de raconter le moment précis où le noyau fusionnel de la famille que forme Mona et son fils Joël vole en éclats à la grande surprise de tout le monde. Le jeune homme est en effet jugé comme « différent », à la charge directe de sa mère dont il est complètement dépendant. Malgré tout, les toutes premières scènes montre des jeunes adultes qui décident de prendre en main leur vie et conquérir une indépendance qui leur était interdite.


La bonne idée du scénario est de contourner les clichés de ce type de situation, et notamment l’infantilisation d’adultes jugés « anormaux », pour mettre en scène une crise familiale qui refuse dans un premier temps de s’assumer comme telle. Quand Mona emmène Joël au bord de la mer, en lui faisant croire qu’ils partent pour l’Antarctique, destination rêvée où il croit que son père réside, ce n’est qu’un prétexte pour prendre la mesure de la situation et la mettre fermement à distance. Ce type d’aventure tend de manière classique à aboutir à une concorde retrouvée entre les protagonistes, les liens se trouvant renforcés par l’éloignement et les explications qui finissent inévitablement par se manifester. Dans Mon inséparable, ce moment de fuite prend plus des atours de prise de conscience pour Mona, tant de son envie de vivre pour elle-même que du désir d’émancipation de ce fils qui était le centre de son existence.

En peu de mots et de dialogues, la cinéaste montre un jeune couple sûrs de ses choix, responsables de ses actes, avec un véritable projet de vie. Même si de nombreuses scènes ne sont exemptes de geyzer d’émotions provoquées par une Laure Calamy toujours aussi douée pour manifester tout ce qui l’habite, il faut souligner la sobriété qu’elle affiche de façon globale, complètement sonnée par l’annonce de la future paternité de son enfant. Toute cette construction dramatique est particulièrement bien écrite et menée par une mise en scène fine et délicate. Si le film reste fragile et principalement véhiculé par son actrice principale, il réussit à capter toute l’absurdité de l’incompréhension entre les générations, car à vouloir trop protéger ces parents en finissent par ne pas laisser de chances à leurs enfants adultes d’avoir une vie à eux, et un projet de famille en leur nom propre. En cela on retient particulièrement l’assurance magnifique de Julie Froger, sûre d’elle, de ses actes et ses projets d’avenir.


D’Anne-Sophie Bailly, avec Laure CalamyCharles Peccia-GallettoJulie Froger


Mostra de Venise 2024