MONKEY MAN
En Inde, un jeune homme sort de prison. Il se retrouve dans un monde où règne la cupidité des chefs d’entreprise et, à l’inverse, l’érosion des valeurs spirituelles.
Critique du film
Monkey Man s’inscrit dans la lignée du cinéma d’action « tiède » de la décennie précédente. Les chorégraphies sont poussives et sur-découpées pour dynamiser l’ensemble, les scènes d’action sont toutes filmées de la même manière, l’éclairage à néons post-John Wick/Cyberpunk 2077 ne reflète rien d’autre qu’un effet de mode standardisé. Les références explicites s’enchaînent sans discontinuer, remixant Elysium de Neill Blomkamp, The Raid de Gareth Evans ou Gladiator de Ridley Scott à l’aune d’apparentes problématiques socio-politiques en Inde. Néanmoins conscient de son post-modernisme référentiel, Monkey Man s’amuse à déjouer certains rails évidents de l’« actioner » en les énonçant au sein même de la diégèse (au début du film, le protagoniste achète une contrefaçon du pistolet de John Wick). Faute d’être tout-puissant dans son dispositif, le film assume par défaut sa toute-conscience et étonne par sa croyance d’être au-dessus de ses citations. Or, cette même « surconscience » se révèle être rapidement le cache-misère d’une vacuité que son réalisateur n’a jamais semblé apercevoir lors de la promotion du film.
CONTRE L’AUTEUR
Le 11 mars 2024, un article de Deadline précisait que Dev Patel, acteur principal et réalisateur du film, voyait son projet comme l’antithèse d’un cinéma d’action dévitalisé, dépourvu de douleur ou de traumatisme : “Je pense que le genre action a parfois été abusé par le système” déclarait Patel. “Je voulais lui donner une vraie âme, un vrai traumatisme, une vraie douleur et vous le méritez. Et je voulais y insuffler un peu de culture”. Dont acte. Le 7 avril dernier, rebelote dans un article disponible sur le site Internet Fastcompany : après de premières négociations prometteuses, Netflix aurait refusé de diffuser le projet car le film serait trop sensible pour une partie du peuple hindou. Patel y répondit que le film était beaucoup plus dense que ce que pensait la plate-forme, en réitérant sa volonté de dynamiter le genre (“Le studio qui l’a acquis en premier ne savait pas vraiment ce qu’il avait négocié. Le film lui-même est beaucoup plus dense et en dit long. Disons que ce n’est pas votre scène d’action habituelle à la première page, et que vous continuez à vous battre sans arrêt. J’essaie d’en faire un peu plus.”). Pour un premier film, la note d’intention est formidable. Elle l’est peut-être trop.
Que reste-t-il de ces hypothèses lancées par son propre auteur ? Le protagoniste, âme errante d’une Inde filmée de nuit, ne parait être que de passage dans chacun des lieux qu’il fréquente. Par extension et en dépit de sa durée de deux heures, ce qui a trait à de possibles paraboles politiques ou velléités contestataires se retrouvent perpétuellement annihilées par une absence de propos clair et étoffé. Les politiques indiens sont corrompus et les religions pervertissent les pauvres âmes du peuple, soit ; mais jamais le long-métrage ne dépasse cette évidence désarmante.
En outre, Dev Patel ne prend pas le temps d’explorer la ville qu’il arpente ou de cartographier les pôles sociaux pourtant visibles. Les scènes d’action ne s’articulent qu’autour de petits combats dans des couloirs, très peu dans des zones urbaines, pourtant sidérant terrain de proximité entre l’élite et les bidonvilles dans un pays comme l’Inde. La spiritualité d’une minorité « genderfluid », déterminante dans l’avancée de la trame narrative, est une anecdote dans un récit décidément trop rectiligne et peu intéressé par ses personnages qui apparaissent ou s’éclipsent au bon vouloir du script.
Ces personnages, à première vue passionnants, ne sont perçus que comme des figures a priori mystiques, mais ne bénéficient jamais d’un souffle romanesque ou philosophique insufflé qui les élèverait au-delà du cadre et les érigerait formellement en figures de pensée tutélaire du héros. Leurs temples, filmés en inserts à l’instar de parcelles historiques d’un pays perverti par la cupidité, n’ont malheureusement aucune valeur sensible ajoutée à l’écran. Point de transcendance ni de vertige métaphysique, ce ne sont que des amas de pierre rapiécés dans un montage balbutiant et un folklore bancal.
Par conséquent, ne subsiste qu’une série de plans fixes en longue focale sur son acteur-réalisateur, qui malgré son talent d’interprétation indéniable semble se regarder filmer et souffrir. Muscles saillants, visage impeccable et angélique, coiffure bouclée immobile, Dev Patel se filme souvent comme le serait une égérie de marque de luxe. Sa rage froide ne se ressent que par intermittence, et il ne parvient pas à transmettre l’émotion suffisante pour emporter le spectateur dans sa vendetta personnelle. Le détail le plus flagrant intervient avant la dernière rixe du film : vêtu d’un masque de singe qu’il a fait modifier pour métaphoriser sa quête de revanche, le héros avance déterminé pour en finir avec les antagonistes.
Or, quelques secondes plus tard et juste avant le début des hostilités, Patel enlève son masque et ne le remettra plus du tout. Curieusement, ce jet de masque est moins une figure de style narrative qu’une synecdoque méta ironique sur ce qu’est l’Inde pour son réalisateur : un terrain de jeu aussi sale moralement « qu’instagrammable » plastiquement, jetable et recyclable au bon vouloir d’une écriture rigide, qui a plus à raconter sur Patel lui-même que sur ce qui gangrène le continent – en réalité une odyssée mégalomane sans séquences marquantes. Cela résume aussi bien ce qu’est in medias res Monkey Man : une capsule cosmétique et factuelle, qui s’est vue trop vite esthétique et sensorielle.
Bande-annonce
17 avril 2024 – De et avec Dev Patel, et Sikandar Kher, Sharlto Copley