MOPE
Le film retrace l’histoire vraie de Steve Driver et Tom Dong, deux jeunes paumés rêvant de devenir des « porno stars », et de leurs pathétiques efforts pour s’élever au-delà du rang de « mope », les moins que rien du cinéma X.
Critique du film
Dans ce qui semble être une sorte de backroom, des hommes en caleçon ont les yeux rivés sur un voyant rouge. Ils patientent, concentrés. Les corps sont disgracieux, les traits flétris, certains ont une bedaine énorme. Tous se touchent le sexe. Certains se massent même les tétons, lâchant quelques râles essoufflés tandis que la sueur dégouline de leur front déjà graissé par l’excitation. Tout à coup, le voyant passe au vert, un type ouvre la porte de la salle et les harangue comme une équipe de foot. Les hommes sont chauffés à blanc, prêts à performer ce qu’on découvre être une scène de bukakke.
Une actrice est à genoux sur une bâche en plastique, désormais entourée de mecs à poil. Les visages sont filmés en gros plan au moment de l’éjaculation. Tout le monde s’encourage et s’applaudit. Vient alors le tour de celui se faisant appeler Steve Driver. Rapidement, on comprend qu’il n’arrive pas à jouir, et le caméraman commence à perdre patience. Un autre acteur, Tom Dong, l’encourage à faire abstraction du reste. Le ton est bienveillant, presque fraternel. Steve jouit, et crie victoire. C’est au travers de cette sidérante scène d’introduction, caméra à l’épaule, que le film montre l’amitié naissante entre deux jeunes « mopes » qui se présenteront plus tard comme les « Chris Tucker et Jackie Chan du porno ».
Une vision pornographique du monde
Dans l’industrie du X, un « mope » est un moins que rien, un simple figurant de bukakke, à peine digne d’une éjaculation. C’est lui que fait le sale boulot, se spécialisant dans diverses formes de déviances fétichistes que les pornos stars ne daigneraient jamais « performer » : coups de pied dans les testicules, scatologie, golden shower, etc. Méprisé par tous, le « mope » est l’équivalent d’un rang social. C’est le figurant du fond, celui qui plie la bâche toute collante, celui qui nettoie la merde incrustée dans le sol, et tout ça payé une misère.
Montrer de tels individus voulant devenir des stars du porno, c’est également montrer une sorte de fantasme d’ascension sociale. Steve et Tom ont des rêves pleins la tête, persuadés que les filles tomberont à leur pieds lorsqu’elles verront leurs performances dans de « grosses » productions. Steve est le plus déterminé, troquant systématiquement la réalité des choses contre une vision fantasmée bien moins flatteuse à son égard. En effet, il n’est ni bon performeur, ni bon réalisateur. Il s’enorgueillit de tout, alors qu’il n’a rien, pas même un minimum d’hygiène de vie.
Le film a l’audace de retranscrire une vision pornographique du monde, qui est aussi et surtout celle de Steve. Malade, il ne saisit rien à rien, n’accepte pas les remarques, se convaincant qu’il est le meilleur, partout, tout le temps. Ses vidéos sont pitoyables, tout le monde se plaint de son odeur pestilentielle, et même son meilleur ami finit par le lâcher au cours d’une scène hallucinante où « performance » et dramaturgie ne font plus qu’un.
Dès lors, la prise de conscience ne peut être qu’explosive, en partant du principe qu’elle est possible. Retenons notamment cette incroyable scène de « dîner de famille », où le père de Steve, les larmes aux yeux, explique à son fils qu’il n’est même pas assez bien membré pour prétendre à une carrière dans le porno. Tout le monde l’accable (à juste titre) mais il n’en démordra pas. Il répondra à la tyrannie du sperme par un jet de sang, plongeant irrémédiablement dans l’abîme d’un fantasme infernal.
Mope est un premier film remarquable, qui aborde frontalement son sujet sans aucune complaisance, servi par la prestation magnifique d’acteurs habités. Un coup de cœur de ce début de festival.
Présenté hors compétition au PIFFF 2019