MORTAL ENGINES
La ficheRéalisé par Christian Rivers – Avec Hera Hilmar, R. Sheehan, H. Weaving…
Etats-Unis – Fantastique – Sortie : 12 décembre 2018 – Durée : 128 min
Synopsis : Des centaines d’années après qu’un évènement apocalyptique a détruit la Terre, l’humanité s’est adaptée pour survivre en trouvant un nouveau mode de vie. Ainsi, de gigantesques villes mobiles errent sur Terre prenant sans pitié le pouvoir sur d’autres villes mobiles plus petites. Tom Natsworthy – originaire du niveau inférieur de la grande ville mobile de Londres – se bat pour sa propre survie après sa mauvaise rencontre avec la dangereuse fugitive Hester Shaw…
La critique du film
Mortal Engines offrait un boulevard métaphorique. Pourtant, l’équipe du film a choisi, encore et toujours, la facilité : un scénario et une mise en scène caricaturaux ôtant à l’œuvre toute singularité, alors que celle-ci promettait beaucoup.
On pouvait s’y attendre : un film produit, et non réalisé, par Peter Jackson cumule les tares dont souffrent ses œuvres – mégalomanie grandiloquente en moins – sans en agréger les vertus. Christian Rivers, son technicien aux effets spéciaux depuis Braindead (1992), en passant par Le Seigneur des Anneaux, King Kong et Le Hobbit, soudainement propulsé au rang de réalisateur, se contente du minimum syndical. De ce point de vue, Mortal Engines n’est pas hideux et ne commet pas de fautes grossières. Mais c’est comme si Rivers savait que son film risquait de chavirer au moindre faux pas (et un faux pas à 100 millions de dollars, ça fait mal) ; comme faire croire que pépé bourré marche droit alors qu’il manque chuter à chaque pas.
Quelle différence entre Mortal Engines et d’autres superproductions calibrées pour la rentabilité ? Aucune. Ou plutôt, à force d’en condenser systématiquement l’ensemble des vices sans leurs vertus, le film se distingue car il devient l’archétype d’une certaine tendance des grosses productions hollywoodiennes. Résumons grossièrement (car le film est grossier) : dans Mortal Engines, l’amour triomphe de tout, la cupidité terrasse les méchants, et les Chinois aiment la nature et la paix.
Détaillons un peu plus. Une romance complètement bâclée dépolitise la fable principale et amoindrit le potentiel féministe de Hester Shaw (Hera Hilmar), qui, de jeune femme vénère au début du film, se réduit en gentille fifille en quête d’un copain pour la consoler de ses malheurs. Pareil pour les racisé·e·s. Comme les personnages de Rogue One, ils ne servent qu’à se sacrifier pour qu’advienne le white saviour. Plus généralement, les personnages secondaires ont l’épaisseur psychologique d’un papier à cigarette. Quant à la mise en scène, elle obéit mécaniquement à la règle du « fusil de Tchekov » : « Si dans le premier acte vous dites qu’il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu’un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S’il n’est pas destiné à être utilisé, il n’a rien à faire là » (Anton Tchekov). D’où récit des plus prévisibles : on en devine la fin et les principales péripéties au bout d’une demi-heure. Et il reste encore une heure et demie à ronger son frein…
Pourquoi en faire tout un fromage ? Pourquoi ne pas laisser cet énième blockbuster dans les abysses de l’oubli ? Parce que Mortal Engines possédait un grand potentiel visuel – et sur ce point, la formation technique de Christian Rivers apporte une (maigre) plus-value – et disposait d’une forte métaphore politique. On comprend, dès le prologue, que « les cités prédatrices de l’Ouest », telles que Londres, figurent le capitalisme impérialiste qui s’accapare brutalement les ressources des plus petites cités, et l’on imagine le devenir métropophage de la société nomade à venir. On voit avancer des « locomopoles » steampunk et l’on contemple ce qui pourrait advenir de la civilisation humaine après son effondrement. Rivers sait filmer ces énormes machines en marche. Aussi classique qu’il soit, son sens du cadrage et du travelling apporte un souffle épique dans une histoire à l’eau de rose.
Finalement, on peut diagnostiquer à Mortal Engines le même mal qui affecte une autre superproduction, toujours en salle à l’heure où l’auteur écrit ces lignes : Les Animaux Fantastiques : Les Crimes de Grindelwald. Les deux œuvres disposent d’un riche matériel cinégénique, mais se contentent de l’exploiter de manière tristement banale : de l’amour, de l’amitié et un méchant éventuellement charismatique. Une inadéquation entre forme et fond ? Surtout une couardise maladive des grands studios.