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MUD

Au cours d’une de leurs escapades, deux adolescents vivant dans le Mississipi, Ellis et Neckbone, accostent sur une île pour en faire l’exploration. Se croyant seuls, ils découvrent cependant l’habitat singulier d’un homme visiblement en danger, qui répond au nom de Mud. Vêtu d’une chemise en lin, armé d’un pistolet, et dont l’unique mission se résume en ces mots : retrouver son amour de jeunesse pour partir avec elle. Immédiatement embarqués, les jeunes garçons s’emballent, ils ont trouvé le héros de leur histoire. Reste à savoir ce qui se cache derrière ses motivations romanesques. La chemise, c’est pour se protéger. Le flingue, alors ?

SUR LES RIVES DU MISSISSIPPI

Jeff Nichols est ce technicien de la narration qui jongle avec les genres quand d’autres essaient éperdument de classer son cinéma afin de savoir plus ou moins ce qu’il produira pour les quinze prochaines années. Se revendiquant lui-même comme une sorte d’alchimiste aimant à s’aventurer en des styles divers pour avant tout conter des histoires, il a ce potentiel de liberté créative souvent propre à la jeunesse, qui en déstabilisent plus d’un. Ainsi au cours d’un même été, il écrit ce que seront ses deux films notables jusqu’à présent (Take Shelter, 2011 et Mud, 2012), l’écriture de l’un ayant été guidée par ses peurs profondes, le second apportant une touche plus fantaisiste, plus idéaliste au sujet de la transition de l’enfance à l’adolescence.

Dans l’un, l’adulte étouffe sous sa peur, peinant à prendre soin de sa famille dans sa tourmente. Dans Mud, l’enfant est placé au centre du récit et tente de grandir en se confrontant à ces peurs d’adulte qui naissent en réalité dès le plus jeune âge, et dès les premiers évènements bouleversants tels que le divorce de ses parents, ou les premiers émois insatisfaits. Mud, en remède à Take Shelter, voit le jour grâce au succès de son prédécesseur et vient se confronter au jugement timide de festivals qui s’attendait à une relève purement Spielbergienne, or, Nichols aime à surprendre et propose un film à l’esthétique chaude, aux décors exotiques et au synopsis franchement romanesque.

S’éloignant du genre fantastique-réaliste où sont confrontés des éléments surnaturels au quotidien, il vient puiser son inspiration dans le Sud des Etats-Unis, lui-même étant originaire d’Arkansas. Le choix de l’environnement du Mississipi se trouve donc justifié par ce désir de raconter une histoire d’ordre atmosphérique, en souvenir de sa propre jeunesse. Le personnage éponyme de Mud adopte des allures de Robinson Crusoé, et c’est d’ailleurs tout l’héritage d’une littérature chère au réalisateur qui influence le mode de vie des êtres humains destinés à se croiser dans le film. Des écrivains tels que Larry Brown et Mark Twain ont nourri cette part de célébration de l’enfance dans une ambiance si particulière. Par moments ce rapport à la littérature américaine se fait nettement sentir, donnant un ton narratif classique au film. Qualifié de film d’auteur en partie pour cette raison, le scénario de Mud se trouve parfois rehaussé de rebondissements romanesques au penchant légèrement prévisible.

Mud movie

VOYAGE AU CŒUR D’UN GRAND ENFANT

Si Mud tient des allures de film d’aventure, il n’en est pas moins introspectif et s’intéresse avant tout au parcours de l’évolution d’un adolescent, torturé entre la fin de l’idéalisation du couple de ses parents et les premières peines du cœur, qui font grandir l’âme. Tye Sheridan, découvert dans The Tree of Life de Terrence Malick, interprète de façon sincère, sans trop en faire, ce petit homme en cours de devenir. Il dégage cette énergie folle de la jeunesse, cette spontanéité souvent extravagante des idées fixes. Matthew McConaughey ajuste ainsi son rôle de paria en fuite à cette sensibilité du personnage de Mud déguisé en un sympathique Crocodile Dundee qui accompagne le jeune garçon, en guide. Le film en devient à quelques reprises un tableau de la transition entre les âges de la vie.

Là où Nichols se différencie de Terrence Malick à qui il est souvent comparé, c’est dans son attrait puissant pour le récit d’une histoire, lui préférant finalement des rebondissements à la lente contemplation malgré une forte volonté esthétique. Jeff Nichols n’est pas seulement attiré par un récit sophistiqué lié à la direction que prennent ses histoires, il cherche à émouvoir dans son extravagance, dans son goût pour le divertissement. Teinté par des valeurs de noblesse du cœur et d’un alignement parfait avec les désirs profonds qui nous animent, Mud pourrait alors prendre des allures initiatiques. Nous sommes ici volontairement coincés dans une réalité où le temps n’existe plus, en un lieu reculé où les époques pourraient se mélanger.

Le seul à venir déconstruire ce héros qu’est Mud et cette apparente naïveté que dégage son histoire c’est Tom Blankenship que joue Sam Shepard. Il semble symboliser un retour violent à la réalité, laissant supposer que l’évolution ne se fait pas sans sacrifices, sans cicatrices. Pourtant, au sortir de ce film, nous sommes ce jeune garçon claquant la porte au réalisme. Comme l’illustrait si bien le poète William Butler Yeats, la responsabilité commence dans les rêves.


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