MY SMALL LAND
Pour Sarya, 17 ans, une réfugiée kurde qui réside au Japon avec sa famille, la vie semble s’améliorer : ses notes à l’école sont suffisantes pour poursuivre ses études, elle est entourée de bons amis et sa relation avec Sota devient spéciale.
Critique du film
Présenté en 2022 dans la section Generations à la Berlinale, My Small Land est le premier long métrage d’Emma Kawawada. Après son film de fin d’études, Circle, la réalisatrice japonaise travaille pour la télévision en livrant une série de documentaires en parallèle de la préparation de son premier long-métrage. Après avoir collaboré avec Hirokazu Kore-eda, qu’elle assistera sur plusieurs films (dont Une affaire de famille) et dont elle revendique aisément la filiation, elle puise également son inspiration du côté de cinéastes européens tels que Ken Loach et les frères Dardenne.
Le prologue de My Small Land nous fait découvrir la jeune Sarya, participant aux célébrations d’un mariage kurde traditionnel dans un beau parc verdoyant. Si elle joue le jeu pour les apparences, certains signes corporels subtils ne trompent pas quant à sa réticence à embrasser pleinement les traditions de sa culture d’origine. Un ellipse nous transporte soudainement au pays du Soleil Levant, alors que la lycéenne se rend en bus à la préfecture en périphérie de Tokyo, métropole dans laquelle sa famille s’est établie après avoir quitté la Turquie pour fuir les persécutions. Discrètement, puis vigoureusement une fois dans sa salle de bains, elle tente d’effacer la coloration rouge qui macule ses mains suite à la cérémonie. Cette exposition simple donne finement le ton de ce drame de l’exil kurde raconté avec élégance et délicatesse par Emma Kawawada.
Installés à Tokyo depuis quelques années, Sarya, sa sœur cadette Lily, leur petit frère et leur père occupent un petit appartement au-dessus d’une laverie automatique, avec d’autres compatriotes réfugiés qui comptent régulièrement sur sa maîtrise de la langue nippone pour les assister dans leurs démarches quotidiennes. Le père, dissident politique menacé d’emprisonnement, tient à ne pas négliger sa communauté et à se montrer exemplaire sur sa terre d’accueil, respectant scrupuleusement les règles liées à son statut de réfugié. Régulièrement, il leur fait part de ses souvenirs du pays et des belles années passées avec leur mère, depuis décédée. Mais pour Sarya, ceux-ci semblent si lointains et de plus en plus flous, elle qui aspire à adopter les moeurs japonaises et à embrasser une carrière d’enseignante.
Dévouée mais déterminée, elle mène tout de front. Figure maternante du foyer, elle décroche un job d’appoint dans un supermarché afin de payer les factures et de faire des économies pour financer ses études supérieures. Au lycée, n’assumant pas ses origines, Sarya ne détrompe pas ses camarades, qui la pensent allemande, afin de ne pas avoir à s’épancher sur l’histoire complexe du peuple kurde. Lorsqu’elle se prend d’affection pour son jeune collègue du supermarché, Sota, elle profite d’un moment de confiance et de confidence pour dévoiler pour la première fois son récit familial. Un point central du film qui semble laisser penser qu’elle a enfin trouvé l’équilibre et l’apaisement entre son passé, son présent et son avenir.
Mais cette sérénité passagère s’achève soudainement lorsque son père apprend que la demande de renouvellement de son statut de réfugié lui a été refusée et que, par conséquence, leurs visas sont instantanément expirés. Le château de cartes s’effondre et voilà qu’ils ne sont plus autorisés ni à travailler ni à accéder aux soins de santé et à l’éducation, ni même à se déplacer au-delà d’un périmètre défini par les autorités. Contraints par une bureaucratie déshumanisée, la famille voit sa vie bouleversée du jour au lendemain, mettant en péril leur vie au Japon. Les aspirations de Sarya volent en éclats, perdant son travail et voyant s’effacer la possibilité de lendemains prometteurs.
En disciple de Kore-eda, Emma Kawawada livre un long métrage d’une formidable délicatesse, qui ne juge jamais ses protagonistes, pas plus qu’il ne force le trait de leurs tourments. Confiante en la qualité de son écriture et de l’interprétation de ses comédien.ne.s, elle assume la longueur de ses séquences et de ses choix de mise en scène et se cale sur le rythme et le cheminement personnel de Sarya. De chaque plan du film, celle qui l’incarne, Lina Arashi, livre une interprétation aussi subtile que puissante. De celles qui marquent et qui célèbrent la belle éclosion d’une actrice.
Grâce à sa narration intelligente et nuancée, My Small Land déroule une dramaturgie impressionnante de justesse et de complexité. La grande réussite de Kawawada est de parvenir à explorer les réalités du déracinement et des conflits culturels intérieurs, des pressions générationnelles et des strates de l’incertitude par le prisme de l’intime, et de faire jaillir une belle émotion qui marque durablement à l’issue de son épilogue d’une douce tristesse.