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NE CROYEZ SURTOUT PAS QUE JE HURLE

La fiche

Réalisé par Frank Beauvais – Documentaire – France – 25 septembre 2019 – 1h15

Janvier 2016. L’histoire amoureuse qui m’avait amené dans le village d’Alsace où je vis est terminée depuis six mois. À 45 ans, je me retrouve désormais seul, sans voiture, sans emploi ni réelle perspective d’avenir, en plein cœur d’une nature luxuriante dont la proximité ne suffit pas à apaiser le désarroi profond dans lequel je suis plongé. La France, encore sous le choc des attentats de novembre, est en état d’urgence.

La critique du film

Dans la vie du spectateur de cinéma, il y a les films qui marquent, ceux, plus rares, qui enchantent, ceux aussi qui déçoivent ou passent simplement sans laisser de trace et puis, de temps en temps, il y a ceux qui stupéfient. Ne croyez surtout pas que je hurle en fait partie. La forme qu’il invente requiert d’emblée une qualité d’attention que l’on est pas toujours prêt à convoquer. Si l’inédit n’est pas une fin en soi, quand il survient avec la force de l’évidence, quand il accompagne la cohérence d’une démarche, quand il propulse le projet en œuvre, le voir stimuler en nous des zones sensibles inconnues provoque d’abord un agréable inconfort qui se transmue bientôt en plaisir intense. 

Mais quel est cet objet cinématographique ? De la récup et une voix off. La belle affaire ! Le dispositif mis au point par Frank Beauvais est aussi simple que cela. Simple et titanesque. Avril 2016, plongé dans une dépression profonde, Frank Beauvais vit en quasi ermite dans une maison d’où le bonheur s’est enfui. Il regarde compulsivement des films en attendant octobre et la promesse d’une chambre dans une colocation parisienne. Les 400 films visionnés constituent un corpus qu’il va patiemment découper selon le principe du found footage afin de composer des fragments thématiques. Ce puzzle va servir à son tour de support à l’écriture d’un texte qui relève du journal intime, texte dit en voix off sur le bout à bout des extraits.

Ne croyez surtout pas que je hurle
Le film ressemble à une pelote de réjection d’un grand duc. Frank Beauvais ingurgite nuitamment des films pour en régurgiter des lambeaux. On s’amuse dans un premier temps à tenter de reconnaître les films cités (ou pillés) mais l’exercice s’avère rapidement difficile, les extraits ne dépassent pas 5 », ça va trop vite, et surtout inadéquat. On est séduit par la beauté du texte que Frank Beauvais dit d’une voix sans affect, absorbé par les images et littéralement ébahi par l’amalgame des deux. Loin de la simple illustration, les images projetées augmentent les mots, jouant sur plusieurs registres, l’ironie, le contrepoint, l’allégorie, la caricature…

La pertinence du résultat époustoufle. 

Du journal intime, Frank Beauvais assume la vision centrée, il y a dans le portrait du quadra en déconfiture une absence de complaisance qui tourne à l’auto-fustigation mais l’auteur dépasse ce stade en interrogeant le rapport au monde à travers l’art en général et la cinéphilie en particulier. De cinéphile à cinéphage, la marge est parfois étroite. L’accoutumance guette et elle a tendance à isoler. Doublement quand on cherche dans l’abondance de fiction une forme de rempart au réel. Le film, de ce point de vue, renvoie souvent le spectateur à sa propre expérience dans un effet d’abyme assez vertigineux.  

Du texte, on retiendra aussi une tendance à la misanthropie que l’on n’est pas obligé de partager. Toute petite réserve qui n’entame en rien l’engouement qu’on voudrait partager pour un film fascinant qui est arrivé sur les écran sans tambour ni trompette et en repartira, hélas, sans délai.

À noter : le texte de Frank Beauvais est également publié par les éditions Capricci



Bande-annonce

Au cinéma le 25 septembre 2019