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NEON GENESIS EVANGELION

En 2015, soit 15 après le Second Impact, un cataclysme planétaire provoqué par une explosion en Antarctique, la ville forteresse Tokyo-3 est menacée par les Anges, des êtres gigantesques détruisant tout sur leur passage. Pour les combattre, l’organisation secrète NERV a mis au point des Evangelions, appelés aussi Eva, d’immenses créatures bio-mécaniques pilotées par de jeunes adolescents. Espérant gagner l’affection de son père, Shinji Ikari prend les commandes de l’Eva-01. Il ignore tout de l’envergure du conflit qui se joue et de son implication…

APOCALYPSE NOW

Quelques mois après les attentats au gaz sarin dans les métros de Tokyo et le séisme à Kobe, le Japon découvre les premiers épisodes de Neon Genesis Evangelion sur petit écran. Un contexte inquiétant pour une oeuvre apocalyptique, devenue vingt-cinq ans plus tard un monument de pop culture quasi-sacré. Alors que les éditions DVD ont longtemps été introuvables sur le marché français, Netflix acquiert les droits de diffusion en juin 2019. L’occasion ainsi de (re)découvrir une oeuvre majeure de la japanimation

DU MECHA A LA TERREUR MÉTAPHYSIQUE 

Alors que le grand public est habitué aux robots géants de Goldorak et de Gundam, Neon Genesis Evangelion s’inscrit comme l’un des pivots du genre. Combats de robots spectaculaires contre des entités malveillantes venues d’ailleurs, jeune héros ordinaire prêt à sauver l’humanité de sa destruction; les premiers épisodes de la série épousent parfaitement les codes du genre mecha. Shinji, jeune adolescent réservé – considéré comme le Troisième Enfant – est désigné pour piloter l’EVA-01 et affronter les Anges qui menacent de détruire la Terre. Les premiers épisodes s’enchaînent, laissant une place centrale à des combats titanesques sur fond de mythologie biblique. 

Mais à mesure que le récit progresse, la série adopte un ton résolument plus sombre et plus sanglant. Délaissant progressivement le spectaculaire, Neon Genesis Evangelion sonde l’intimité mentale de ses personnages, explorant dans une narration éclatée les traumatismes de chacun. Après des premiers épisodes à la trame classique – un Ange arrive sur Terre, les EVA gagnent le combat in-extremis -, le récit devient peu à peu hors de contrôle, comme contaminé par le désespoir de ses personnages. L’image est souillée elle-aussi par l’émotion, s’autorisant progressivement quelques écarts à la frontière de l’expérimental. Aplats de couleurs, répétitions et flash lumineux envahissent le récit jusqu’aux controversés épisodes 25 et 26 dont la radicalité formelle fait encore débat aujourd’hui. Neon Genesis Evangelion subvertit les codes du mecha pour se transformer en un cauchemar existentiel vertigineux.

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DÉCONSTRUCTION DES GENRES 

L’arrivée de Neon Genesis Evangelion sur Netflix, près de 25 ans plus tard, permet ainsi une plus grande accessibilité à un public plus large, qui apporte avec lui un regard nouveau (et occidental). Si l’on ne peut pas affirmer que la série est féministe, force est de constater que la question du genre (masculin comme féminin) y est majeure. 

Longtemps considéré comme insupportable, Shinji Ikari échappe aux conventions de la masculinité. “Faible”, “lâche” et “pleurnichard”, Shinji ne répond pas aux attentes du héros traditionnel prêt à sauver vaillamment l’humanité, et se pose comme étranger au monde qui l’entoure. Dépressif et suicidaire, Shinji est hanté par la solitude et l’incapacité à s’aimer et être aimé. L’émotion parasite ainsi sa mission, jusqu’à parfois la faire échouer et (se) mettre en danger son entourage. Son attirance pour les filles co-existe avec une relation ouvertement gay et l’éloigne du carcan hétérosexuel, se rapprochant davantage de la pansexualité : au-delà des genres, Shinji ne cherche qu’à être aimé. 

A l’inverse, les personnages féminins occupent une place fondamentale dans son entourage. Des personnalités fortes et complexes qui dirigent la mission, à la fois brillante scientifique (Ritsuko), major des opérations de la NERV (Misato) ou pilotes d’EVA (Rei et Asuka). Pourtant, elles n’échappent pas au fanservice érotique qui entretient les fantasmes sexuels d’un public majoritairement masculin. Les premiers épisodes de Neon Genesis Evangelion contiennent un regard masculin (male gaze) particulièrement présent, mais qui n’existe qu’à travers les yeux de Shinji. Un regard qui traduit la naissance d’un désir exclusivement voyeuriste, qui se pose sur les seins et les fesses des femmes, dont il est néanmoins incapable de transcender le fantasme. Un regard masculin dont l’apparente gratuité s’efface progressivement (sans toutefois disparaître) à mesure que la psychologie des personnages féminins prend forme. L’ultime épisode de la série questionne ainsi son omniprésence, évoquant une réalité différente et fantasmée aux allures de shonen classique : Shinji se conforme aux attentes du héros classique, dont la confiance en soi se traduit par une hyper-sexualisation assumée de Misato. Une possible réalité (car le dernier épisode questionne la notion même de réalité) toutefois écartée, assumant de fait la fragilité de son héros principal, et égratignant au passage les attentes des otakus.

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Misato, Asuka et Rei deviendront paradoxalement des icônes sexuelles pour toute une génération de fan, effaçant la complexité de leur écriture. Si la série ne leur épargne pas quelques facilités, insistant sur une incapacité biologique des hommes et des femmes à se comprendre, elle interroge la construction du féminin. En effet, Neon Genesis Evangelion pose frontalement la question de l’identité, tourmentant ses personnages en leur assénant la question d’un “qui suis-je ?” qu’ils devront résoudre. De même que Misato est tiraillée entre ce qu’elle est (extravertie et bordélique) et ce qu’elle devrait être (une vie rangée et une sexualité invisible), Asuka plonge dans un mal-être profond, initié par un dégoût de son propre corps.

Cliché de la tsundere (trope du personnage féminin hautain) agaçante, elle est obsédée par l’idée d’une performance, aussi bien humaine que sexuelle. Fétichisée par Shinji, Asuka cherche à séduire Ryoji avec sa poitrine, et se perd dans une sexualité qu’elle ne maîtrise pas. Le rejet progressif de son corps intervient lorsque celle-ci échoue dans sa mission, détruisant sa confiance en soi. Aliénée par l’hyper-sexualisation et la réification de son propre corps, sa plongée progressive dans la dépression le transforme en un corps étranger et sale, conforté par l’arrivée de ses règles. La perception de la nudité accompagne sa descente aux enfers : allongée dans une baignoire ensanglantée au milieu des ruines d’une salle de bain, la nudité expose une noirceur de l’âme qui n’a plus rien d’érotique. 

JE EST UN AUTRE

Neon Genesis Evangelion n’est pas tant le récit de robots géants que celui de la dépression. La mythologie, dont la richesse est pourtant passionnante, apparaît alors comme le réceptacle d’une réflexion existentielle. Les personnages luttent dans une guerre qui semble perdue d’avance, mettant ainsi en lumière les combats internes de chacun. Le récit explore l’intimité psychologique des personnages, confrontés aux traumatismes du passé, terrifié.e.s par l’abandon mais incapables de se lier aux autres. Une analyse freudienne de l’esprit humain, emprisonné dans des relations œdipiennes desquelles il doit s’affranchir. 

Les deux derniers épisodes offrent ainsi basculement total dans la tête de ses personnages, s’émancipant de la convention formelle de l’animation. Faute de budget pour animer les deux derniers épisodes, Hideaki Anno se voit contraint d’économiser l’animation. La série s’engouffre alors pleinement dans une forme expérimentale d’une intensité rarement égalée. Les épisodes 25 et 26 offrent alors une expérience littérale de la dépression, traduisant la terreur métaphysique qui s’en dégage. A travers une distorsion des repères spatio-temporels, la réalité devient étrangère et inquiétante : les traits se troublent jusqu’à l’abstraction, comme miroir de la confusion mentale de ses personnages et par extension, des spectateur.ice.s. L’image devient matière, transcendant ainsi les strates de la réalité, et passe tour à tour d’une animation aux couleurs saturées à de véritables photographies. Une fin déstabilisante et hallucinante qui conclut la thématique centrale de son récit, celle de la quête de soi, bouleversante de sincérité et d’optimisme. Des épisodes qui déplaisent encore aujourd’hui, auxquels Hideaki Anno répondra plus tard (après avoir reçu quelques menaces de mort) avec le film The End of Evangelion, miroir nihiliste et cynique de la fin lumineuse qu’il apporte à ses personnages dans la série. 

La richesse visuelle, thématique et mythologique fait de Neon Genesis Evangelion une oeuvre intemporelle, qui offre une multiplicité d’interprétations possibles. Un univers qui trouvera sa conclusion près de vingt-cinq ans plus tard, avec la sortie d’un nouveau film Evangelion 4.0 prévu pour 2020. Preuve en est que la série a marqué durablement la pop-culture, devenue une référence pour quantité d’œuvres mais qui n’atteignent rarement la puissance émotionnelle de celle originelle.  Sans doute car aucune n’aborde avec autant de justesse les troubles de l’existence, et apporte une lumière au bout du long tunnel de la solitude. 


Disponible sur Netflix 


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