NEZOUH
Critique du film
Soudade Kaadan passe le conflit syrien au crible de la fable et en tire un film lumineux qui érige le pouvoir d’évasion par l’imaginaire en viatique. Le film, tout en élégance distanciée, applique sur la plaie du déracinement un baume poétique.
Cocon ou prison ?
Voilà 12 ans que la guerre en Syrie a commencé, elle paraît aujourd’hui sans issue et reléguée au second plan médiatique par d’autres conflits, plus récents, plus proches, plus faciles à comprendre. Ne comptez pas sur Nezouh pour décrypter cette guerre sans fin. Le regard que pose la réalisatrice sur le conflit est avant tout métaphorique, mais s’appuie sur la douloureuse réalité d’une ville, Damas, champ de ruines et d’absence. Zeina, 14 ans, vit avec ses parents dans le seul appartement de l’immeuble encore occupé, un des rares du quartier. Motaz, le père, ne veut à aucun prix abandonner le cocon où il protège sa famille. Nous le découvrons alors qu’il tente de faire fonctionner un générateur construit de ses propres mains pour faire face aux quotidiennes coupures d’électricité.
Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que l’énergie qu’il met à transformer l’ordinaire en extraordinaire est sincère mais un peu forcée. Il s’est accommodé du tragique de la situation en endossant le rôle de sauveur, prêt à tout pour cela, y compris piller les appartements voisins pour faire bouillir la marmite. Cet enfant de Damas refuse de devenir un réfugié, cette seule évocation le terrorise. Tout à son obsession, Motaz ne voit pas que Hala, sa femme et Zeina, sa fille, étouffent sous son enthousiasme factice et son autorité permanente.
Soudade Kaanan filme un huis-clos sur le ton d’une comédie de l’enfermement, où le réel tente d’être surpassé par la volonté de l’optimisme. Mais deux événements vont perturber l’ordre des choses.
Du ciel tombe une corde
Le premier est un nouveau bombardement, un de plus, mais celui-ci endommage salement l’immeuble de Zeina au point de transformer l’appartement en gruyère et de créer un trou béant dans le plafond de sa chambre. Alors que Motaz vit cette nouvelle épreuve comme un défi à relever, Zeina, de son côté, va découvrir une autre réalité. La vue des étoiles depuis son lit agit sur elle comme un puissant révélateur, une fenêtre ouverte sur un monde imaginaire qu’elle partage bientôt, en secret avec Amer, le jeune voisin dont la corde tendue apparaît bien davantage qu’un simple outil pour le rejoindre sur le toit terrasse. L’objet a valeur de baguette magique à l’image des échelles de contes qui donnent accès aux châteaux dans le ciel.
Le second est la visite d’un ami de la famille qui vient proposer un mariage arrangé à Zeina, dans le but de la mettre à l’abri. Quand elle voit Motaz prendre l’offre au sérieux, Hala comprend que sa fille est en danger et décide de s’enfuir pour « rejoindre la mer ».
Des ricochets dans le ciel
Cet horizon impossible, elle le partage avec Zeina dans une forme de connivence qui les rapprochent. Toute la force du film est là, transcender le tragique par le poétique, transformer ses personnages de passifs en actifs, avec le rêve pour boussole. Certains y verront un excès de naïveté et de bons sentiments mais sous les couleurs de la fable, se cache toujours une âpre vérité. Ainsi cette très belle scène au charme surréaliste où les cailloux lancés par l’adolescente depuis le toit de l’immeuble font des ricochets dans le ciel.
Hala sème sur son chemin certains effets emportés, ici une paire d’escarpins, là un manteau. Autant d’indices qu’elle laisse peut-être, comme une dernière chance, à Motaz dont elle sait qu’il est sur ses traces. Bientôt rejointes par Amer, grâce à son drone (il est le roi de la technologie et un faiseur d’images, son projet est de réaliser un film témoignage du siège de Damas, un film où personne ne meurt) Zeina et Hala vont pouvoir traverser leur Rubicon pour passer en zone libre, qui se présente sous le forme d’un tunnel.
Inutile de dévoiler la fin du film, on se contentera de souligner que Soudade Kaadan réussit un film à la fois solaire et étoilé, en évoquant avec beaucoup de tact la question du déracinement. L’imagination est le seul pays dont on ne s’exile jamais. En avoir est parfois une question de vie ou de mort.
Bande-annonce
21 juin 2023 – De Soudade Kaadan
avec Kinda Aloush, Hala Zein et Samir Almasri