NINJA TURTLES : TEENAGE YEARS
Critique du film
Apparues pour la première fois en 1984 dans un comics homonyme, les Tortues Ninjas ont, depuis, traversé les époques et les supports. Séries, jeux vidéo, films difficilement défendables produits par Michael Bay, jouets… Ces quatre presque fantastiques sont devenus des incontournables de la pop-culture. Mais alors que le produit semblait déjà bien essoré à la fin de la troisième série animée de cinq saisons conclue en 2017, les chevaliers d’écaille sont de retour dans un film à l’ambition claire : reluire la carapace des protagonistes, régulièrement entachée sur le grand écran. Et pour cela, rien de mieux qu’un retour à la case départ. Après le très apprécié Les Mitchell contre les Machines (Mike Rianda, 2021), son co-auteur Jeff Rowe prend les rênes de Ninja Turtles – Teenage Years.
Le réalisateur fait ainsi table rase et repart du début : quatre adorables petites tortues et un rat (Splinter, père adoptif des protagonistes) sont exposés à un fluide radioactif, les transformant en mutants humanoïdes aux capacités extraordinaires. Maintenus à l’écart du monde par un père protecteur, les protagonistes rêvent d’une existence semblable à celle des humains de leur âge. Leur rencontre avec l’adolescente peu populaire April O’Neil va tout changer. Leonardo, Michelangelo, Donatello et Raphael vont suivre les pas des artistes dont leurs noms s’inspirent et amorcer, eux aussi, leur Renaissance.
À travers les âges
Le long-métrage s’inscrit parfaitement dans notre époque et souhaite parler à tous : les réseaux sociaux ont pris le contrôle du monde entier, y compris des égouts dans lesquels nos protagonistes vivent. TikTok et YouTube guident leurs actions et celles de leur nouvelle acolyte, dont le rêve est de passer devant une caméra sans vomir d’anxiété. Les problématiques des adolescents de notre époque (tristesse inexpliquée, peur du rejet, amours volatiles, addiction aux smartphones) s’ancrent sans aucun problème dans l’univers des Tortues Ninjas. Mais pour s’assurer de parler à tous, Jeff Rowe multiplie les références à la pop-culture et remonte plusieurs décennies en arrière : Godzilla, Shrek, Avengers, L’Attaque des Titans… les inspirations sont nombreuses et explicites. L’intention est louable, et il est difficile de masquer son plaisir lorsqu’une œuvre ayant marqué notre enfance est mentionnée. Malheureusement, le réalisateur semble se forcer à en placer le plus possible, interrompant son récit à de multiples reprises dans le simple but de caser une nouvelle référence et s’assurer quelques sourires des spectateurs.
Hormis ses quelques cassures, le rythme joyeusement agité de Ninja Turtles – Teenage Years remplit sa mission. L’histoire de ces mutants séduit, l’humour est efficace, la musique impeccable. D’un côté, la bande-originale de Trent Reznor et Atticus Ross (Soul, The Social Network, Watchmen). De l’autre, plusieurs musiques de hip-hop new-yorkais (DMX, Blackstreet), qui participent à la réussite des combats, tous plus explosifs les uns que les autres. Sans oublier Push It To The Limit, empruntée à Scarface, permettant de sublimer une scène d’entraînement devant des vidéos YouTube de Jackie Chan (qui, dans la VO, prête sa voix à Splinter). Le montage effréné permet d’ailleurs de passer d’un affrontement à l’autre sans rendre l’action illisible : la séquence d’interrogatoires empilés les uns sur les autres, montrant les frères un par un, est l’une des plus revigorantes du film.
Into the Turtle-Verse ?
Sa patte artistique permet au film de se faire une place parmi les autres œuvres d’animation post-Into the Spider-Verse (Le Chat Potté 2, Les Bad Guys, Arcane, Nimona). Avec ses dessins gauches et son style inspiré du graffiti (quoi de plus adolescent ?), le long-métrage de Jeff Rowe propose un style singulier et se démarque de son prédécesseur. Il semble d’ailleurs opportun de préciser que contrairement aux animateurs d’Across the Spider-Verse, ceux de Ninja Turtles – Teenage Years ont travaillé dans des conditions optimales sans être pressés par le temps, selon les déclarations du réalisateur à Insider. Mais c’est tout ce que l’on donnera à nos quatre tortues dans cette comparaison assez inévitable avec Miles Morales.
Une fois ces jolies qualités soulignées, l’un des principaux défauts frappe : Ninja Turtles – Teenage Years manque d’identité. En matraquant le spectateur de références, le long-métrage se perd dans un récit sans grande originalité. Jeff Rowe se force à rendre son film « instagrammable » et en oublie parfois son histoire, qui gagnerait grandement en profondeur si le réalisateur se laissait porter par l’essence de ses protagonistes.
Le plaidoyer sur l’acceptation est bien mieux transmis lorsqu’il est suggéré par les dessins que quand il est répété par les personnages. Les tortues et leurs nouveaux amis mutants ne sont pas les seuls à être affreux. Les humains sont asymétriques, difformes, disproportionnés, représentés de la même manière qu’ils voient n’importe quelle personne un tant soit peu différente d’eux. Pourtant, tous finissent par s’entendre. Cette subtilité aurait suffi à la compréhension du message du long-métrage l’aurait rendu encore plus fort… mais Jeff Rowe préfère y aller avec de gros sabots et rappeler pendant 1h39 qu’il faut accepter les autres.
En dépit de ce manque de finesse, Ninja Turtles – Teenage Years répond aux attentes des fans et des néophytes. Les tortues ont rarement été aussi bien représentées à l’écran, même si elles se font voler la vedette à plusieurs reprises par Splinter et Superfly, antagoniste du long-métrage. L’histoire des quatre frères est respectée et s’offre une cure de jouvence alors que la formule commençait à s’essouffler. Et les amateurs de cet univers devraient en ressortir ravis : une scène post-générique tease l’arrivée de l’un des ennemis jurés de nos tortues préférées.
Bande-annonce
9 août 2023 – De Jeff Rowe et Kyler Spears