NOS CÉRÉMONIES
Royan, 2011. Alors que l’été étire ses jours brûlants, deux jeunes frères, Tony et Noé, jouent au jeu de la mort et du hasard… Jusqu’à l’accident qui changera leur vie à jamais. Dix ans plus tard et désormais jeunes adultes, ils retournent à Royan et recroisent la route de Cassandre, leur amour d’enfance. Mais les frères cachent depuis tout ce temps un secret…
CRITIQUE DU FILM
Sous le soleil brûlant, au son assourdissant de l’océan, un combat au sabre débute entre deux jeunes frères. Dès les premiers instants, on devine quelque chose de solennel et d’insaisissable dans Nos cérémonies. Une inexplicable fascination nous envahit devant le conte audacieux qui débute sous nos yeux et déjà, on décèle une certaine gravité.
« T’es prêt mon frère ? »
Premier long-métrage de Simon Rieth, Nos cérémonies met en scène un amour fraternel viscéral. Absolument tous les éléments qui constituent l’intrigue gravitent autour de cette relation si particulière qui unit Tony et Noé. Et si elle paraît si authentique, si juste à l’écran, c’est en partie parce que les deux interprètes, Simon et Raymond Baur, sont deux frères. À première vue, les rôles des deux protagonistes sont très marqués : Tony, l’aîné, incarne plutôt la figure dominante. D’autre part, l’ambivalence de leur relation s’inspire de ce qui menace l’équilibre de toute fratrie : la rivalité. Il y a d’ailleurs une part intime dans ce récit, puisque Simon Rieth a choisi de le filmer à Royan, où, enfant, il passait l’été avec son petit frère.
Il y a, dans Nos cérémonies, autant d’éléments intimes et universels qui font les relations, que de partis-pris forts qui renforcent de nombreux symboles. Depuis leur enfance, Tony et Noé s’aiment et s’affrontent : il n’est pas question ici de chamailleries mais plutôt de jeux ritualisés. « Personne ne doit savoir que je suis mort et que tu m’as ramené », glisse Tony à son jeune frère. Lorsqu’un jour, l’un de ces jeux dérape, les deux frères sont liés par un secret qui va bouleverser le cours de leurs existences. Les rituels qu’ils ont toujours partagés vont faire place à une nouvelle forme de cérémonie, terrible, énigmatique et nécessaire.
Raconter la jeunesse à la croisée des genres
Une profonde volonté de raconter la jeunesse et un puissant désir de cinéma émanent de Nos cérémonies. Embrassant volontiers le vaste domaine du récit initiatique, Simon Rieth filme le passage de l’enfance à l’âge adulte en dosant le naturel, le sublime et le fantastique. Avoir choisi des inconnus (dont l’excellente Maïra Villena) pour interpréter ses personnages est particulièrement intéressant dans ce contexte : en tant que spectateur, nos attentes d’un film sont forcément influencées par son casting. Il est très difficile de deviner où le film de Simon Rieth va nous emmener.
De l’écriture à la mise en scène, tout est mis en œuvre pour faire de Nos cérémonies un long-métrage puissant et déroutant. D’abord, les partis-pris visuels allient une image solaire et très contrastée à des plans larges qui installent une tension palpable. La caméra génère beaucoup de frustration pour le spectateur : elle entretient le secret du hors-champ et nous montre aussi ce qu’on n’osait pas imaginer, étant souvent là où on ne l’attend pas. Et pour ajouter à cette tension dramatique, il y a quelque chose de théâtral dans Nos cérémonies. Simon Rieth cite d’ailleurs Britannicus, la tragédie de Jean Racine, parmi ses inspirations. Un concept lié à la mort, que nous ne révélerons pas dans cet article, vient apporter une dimension fantastique, voire mythique, au récit. Si le fantastique de Simon Rieth est marqué par des inspirations en tous genres (conte, tragédie classique ou jeu vidéo), il a cette capacité remarquable à révéler la puissance du réel, comme ce fut le cas dans Les cinq diables (2022) de Léa Mysius ou La Montagne (2023) de Thomas Salvador.
Corps-à-corps
La relation fraternelle qui unit Tony et Noé oscille entre l’amour et la violence, le partage et la rivalité, l’empathie et la jalousie. Simon et Raymond Baur, les interprètes, aussi champions de kung-fu, livrent un duo-duel magnifiquement chorégraphié. Ce qui semblait être une relation dominant-dominé au début du film se transforme en un véritable jeu de pouvoir, dont on ne peut deviner l’issue. Pouvoir, don, malédiction ? Dans Nos cérémonies, Simon Rieth ne cherche pas à tout expliquer : on connaît peu le passé des jeunes personnages et si les figures parentales sont là, leurs relations demeurent troubles.
Nos cérémonies est une expérience sensorielle et immersive, notamment grâce à un impressionnant travail sur le son et les basses. On remarque aussi une volonté de filmer les corps dans leur sensualité et leur violence. La violence fait partie intégrante du récit et à l’image de son titre, elle est ritualisée et mise en scène à la manière d’un tableau. À cette fratrie flamboyante s’ajoute le personnage de Cassandre, leur amour d’enfance. Outre le symbole du triangle amoureux, on peut y voir un lien avec le mythe grec de Cassandre, clairvoyante sur l’avenir, mais condamnée à n’être jamais crue. Dans Nos cérémonies, Cassandre est la seule à connaître l’origine du secret qui unit Tony et Noé.
Ce premier long-métrage de Simon Rieth déploie, avec une audace folle, un univers solaire et énigmatique, où sont jetés les dés de la vie, de la mort et des névroses originelles.
Bande-annonce
3 mai 2023 – De Simon Rieth, avec Simon Baur, Raymond Baur, Maïra Villena