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NOSFERATU

Nosferatu est une fable gothique, l’histoire d’une obsession entre une jeune femme tourmentée et le terrifiant vampire qui s’en est épris, avec toute l’horreur qu’elle va répandre dans son sillage.

CRITIQUE DU FILM

En s’attaquant au mythe de Nosferatu, l’Américain Robert Eggers s’offre un dialogue avec l’histoire du cinéma. Le film de Murnau, en 1922, est un jalon du cinéma muet et de l’expressionnisme allemand, qui marqua à jamais l’imaginaire collectif avec son vampire spectral et difforme. En 1979, Werner Herzog offrait une relecture hypnotique, teintée de mélancolie gothique, où Klaus Kinski incarnait un Nosferatu tragique, rongé par sa condition. Ces deux œuvres, malgré leurs différences, partagent une essence : l’effroi comme force motrice. Avec son Nosferatu, Robert Eggers parvient-il à s’inscrire dans cette prestigieuse lignée ?

En l’espace de trois films et moins d’une dizaine d’années, Robert Eggers est devenu l’un des noms majeurs du cinéma indépendant et horrifique grâce à son approche rigoureuse, presque obsessionnelle, des atmosphères et du détail historique. De The Witch à The Lighthouse en passant par The Northman, chacun de ses films est une immersion totale dans un monde révolu et pourtant étrangement contemporain. Eggers est un orfèvre, un architecte de mondes aussi précis qu’hypnotiques. Pourtant, dans Nosferatu, cette précision se transforme en carcan : à force de vouloir magnifier chaque plan, il semble perdre de vue la tension narrative et émotionnelle. La peur, pourtant essentielle à ce mythe vampirique, s’efface derrière une fascination presque muséale.

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UNE OMBRE SUBLIME DANS LA NUIT…

Car visuellement, Nosferatu est une merveille. Dès les premières images, le spectateur est plongé dans un univers gothique sublimé par la lumière de Jarin Blaschke, collaborateur fidèle d’Eggers. Les contrastes entre ombre et lumière ainsi que les décors magnifiquement reconstitués de l’Est de l’Europe au cœur du 19ème siècle, transforment chaque plan en une peinture. Les paysages brumeux, les intérieurs chargés d’histoire, et les costumes finement détaillés témoignent d’un travail minutieux, où chaque élément à l’image contribue à nous plonger dans les méandres de cette époque. Cependant, cette beauté visuelle, bien qu’irréprochable, finit par figer l’ensemble dans une esthétique froide, presque trop clinique.

Pour incarner les personnages de son conte horrifique, le réalisateur américain s’est entouré d’un casting prestigieux. Dans le rôle d’Ellen, l’objet du désir du Comte Orlok, Lily-Rose Depp séduit par son interprétation délicate et vulnérable, mais ne parvient pas à faire oublier qu’Anya Taylor-Joy devait initialement lui prêter ses traits et son intensité émotionnelle. Nicolas Hoult, dans le rôle du jeune époux, oscille entre naïveté et courage, et parvient à donner corps et matière à un personnage qui aurait pu paraître lisse. Pour sa troisième collaboration avec le réalisateur, Willem Dafoe brille dans un rôle taillé sur mesure, mêlant grotesque et mélancolie. Enfin, Bill Skarsgård, spécialiste des transformations physiques et des monstres emblématiques depuis son incarnation de Pennywise dans Ça (2017), trouve ici un rôle moins effrayant mais néanmoins fascinant. Sa présence magnétique et son regard troublant captivent, même si son Nosferatu tient davantage de la figure romantique que du véritable monstre.

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… QUI MANQUE DE MORDANT 

L’horreur, dans le Nosferatu de 2024, est étrangement timide. Là où Murnau instaurait un malaise omniprésent par ses jeux d’ombres inquiétants et ses mouvements de caméra angoissants, Eggers semble préférer l’exploration thématique à la terreur pure. Les thèmes du désir, de l’immortalité et de la fatalité sont bien présents, mais ils ne suffisent pas à compenser le manque de tension. Surtout, le métrage paraît bien sage si l’on compare à d’autres classiques vampiriques, à commencer par le fascinant Dracula de Coppola. Même les scènes clés reprenant les idées de ses prédécesseurs – l’arrivée de Nosferatu à bord du navire, sa menace grandissante sur la ville ou ses visites nocturnes à Ellen – ne parviennent pas à créer le frisson espéré. Le film fascine par sa beauté, mais il ne hante jamais. Eggers semble trop respectueux de son matériau pour oser le subvertir ou l’intensifier.

Au final, Nosferatu est un film techniquement irréprochable, un hommage sincère à un mythe cinématographique intemporel. Robert Eggers démontre une fois de plus son talent exceptionnel pour créer des univers visuellement immersifs et d’une richesse impressionnante. Cependant, cette relecture manque de l’essence même du personnage : l’angoisse primitive, cette peur viscérale et inexpliquée qui nous glace le sang. En cherchant à sublimer l’esthétique, Eggers oublie que l’horreur, pour être efficace, doit aussi être ressentie. Ce Nosferatu, aussi élégant soit-il, reste une œuvre qui séduit l’œil sans jamais mordre l’âme.

BANDE-ANNONCE

25 décembre 2024 – De Robert Eggers, avec Lily-Rose DeppBill Skarsgård, Nicholas Hoult