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ORANGES SANGUINES

Au même moment en France, un couple de retraités surendettés tente de remporter un concours de rock, un ministre est soupçonné de fraude fiscale, une jeune adolescente rencontre un détraqué sexuel. Une longue nuit va commencer. Les chiens sont lâchés.

Critique du film

Cinq ans après Apnée, Jean-Christophe Meurisse revient avec son deuxième long-métrage, Oranges sanguines, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne va pas laisser indifférent. Issu du monde du théâtre, le fondateur de la troupe des Chiens de Navarre s’est fait une spécialité de pointer du doigt tous les travers de la société française, et prend toujours un malin plaisir à gratter là où ça fait mal. Et autant le dire d’entrée, Oranges sanguines ne déroge pas à la règle !

Le film suit plusieurs personnages, de classes sociales différentes et dans des moments de leurs vies en apparence sans lien les uns avec les autres. Un couple de retraités endettés et qui misent tout sur un concours de rock pour échapper aux créanciers, une ado sur le point de perdre sa virginité, un ministre de l’économie qui cherche à cacher ses malversations… Alors que tous croient en leur bonne étoile, quelle que soit la forme que celle-ci puisse prendre, ils vont voir leur vie basculer à cause de hasards malheureux aux répercussions terribles. La faute à pas de chance comme on dit.

« Le rock, c’est pas les franges… le twist, c’est les franges ! »

Pour son film, Jean-Christophe Meurisse s’entoure des membres de sa compagnie théâtrale, tous formidables, qu’il agrémente de quelques figures plus connues telles que Denis Podalydès, Blanche Gardin ou Vincent Dedienne. On comprend aisément que ceux-ci aient souhaité se joindre à l’aventure compte-tenu de l’écriture des personnages, des dialogues, ainsi qu’une place apparente à l’improvisation…

Oranges sanguines commence donc comme une comédie acerbe aux dialogues savoureux. Difficile de ne pas rire face à l’absurdité de certains échanges, de certaines réflexions, dites avec le plus grand des sérieux, qu’il s’agisse du jury d’un concours de danse qui se déchire sur ce qu’est le rock, ou du conseiller d’un ministre qui propose de taxer les avortements lors d’un tour de table à la recherche de mesures « qui ne vont pas diviser les français ».

Dans sa représentation du monde politique, de son cynisme omniprésent et de ses joutes verbales, la première partie du film nous rappelle parfois le génial In the loop (2009) d’Armando Ianucci. On y retrouve la crudité du langage, des échanges à bâtons rompus, et une hypocrisie de tous les instants. À ce jeu, la séquence de la séance photo chez le ministre de l’économie (dont la probité n’a rien à envier à Fillon ou Cahuzac), suivie de l’interview façon Karine Le Marchand, est tout bonnement irrésistible. 

Mais ce serait trop facile si le film en restait là. Jean-Christophe Meurisse ne veut pas seulement nous faire rire avec son regard acide sur le monde. Non, il veut aussi nous provoquer, nous mettre mal à l’aise. Et c’est ce qu’il fait avec la deuxième moitié du film qui emprunte un chemin auquel personne ne peut vraiment s’attendre, y compris ceux qui connaissent le bonhomme et son travail.

Oranges sanguines

Au sortir de la projection, une question s’impose à nous : Comment parler d’Oranges Sanguines ? Difficile mission tant celui-ci offre de multiples facettes, et pas nécessairement les plus simples. Après nous avoir fait rire, Meurisse nous secoue violemment, peut-être trop même parfois. On est admiratif de son talent pour saisir les petits moments qui dérapent et l’hystérie de la vie, et puis on le déteste, viscéralement, pour ce qu’il nous inflige ensuite. Les sentiments se mélangent, amour, haine, rires et larmes… Sous le choc, on ne sait pas quoi penser. Et arrivent les ultimes secondes, la musique nous emporte alors dans un tourbillon émotionnel d’une rare intensité. 

Si certains trouveront que les personnages sont exactement ce que l’on attend d’eux, difficile d’en dire autant face à ce que le sort leur réserve. Derrière cette réalité, le cinéaste laisse exprimer une rage non feinte, pas toujours subtilement d’ailleurs (« 49.3 ! »). Mais il n’en a sans doute que faire. Avec une colère digne d’un Gilet jaune aux portes de l’Assemblée, celui qui se définit comme un « profond gaucho » envoie tout valser et règle des comptes. Le film est à la fois le produit et la réponse aux injustices, sociales, politiques, ou tout simplement de la vie.

« Tout va bien se passer, on va s’en sortir. »

Lors de la présentation d’Oranges sanguines à l’Étrange Festival, Meurisse ne savait pas trop quoi dire pour parler de son film. Ce qui est paradoxal tant les mots coulent à flot dans ses œuvres où l’improvisation est monnaie courante. Mais on peut néanmoins le comprendre tant l’exercice du pitch est difficile avec ce film qui ne rentre dans aucune case. Laconique, le metteur en scène s’était simplement contenté d’expliquer que c’était « un film sur l’amour » avant de quitter la scène pour laisser place à la projection.

De l’amour, il en est effectivement question dans son film, notamment dans un dernier plan aussi beau que cruel. Mais, un peu à la manière d’un Gaspar Noé avec Irréversible (2002), Meurisse interroge : Que reste-t-il de l’amour face à la cruauté de la vie ? Cette vie si fragile, qui nous échappe au moindre accroc, qui détruit tous nos plans et qui punit tout le monde, les bons comme les mauvais. Reste un constat, ironique : La vie est belle, oui, mais la vie est une garce.

Pour finir, gardez juste une chose en tête : Quoi que vous ayez vu ou lu sur Oranges Sanguines, vous n’êtes pas prêt pour ce qui vous attend !

Bande-annonce

17 novembre 2021De Jean-Christophe Meurisse, avec Alexandre SteigerChristophe PaouLilith Grasmug